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Objectif Cinéma : Comment avez-vous travaillé avec vos deux comédiennes Elsa Zylberstein qui joue pour la troisième fois avec vous et Camille Japy, toutes deux différentes dans leurs jeux ?
Quelles furent vos approches ?

Martine Dugowson : Ce sont deux actrices qui n'ont pas le même tempérament ni la même façon de travailler. Ceci dit, il y a des points communs, car au moment où l'on tourne une scène, il faut se retrouver dans un climat d'humeur et d'ambiance, quelle que soit la scène à jouer, légère ou tragique. Ce sont donc des choses qui se passent à la fois sur le vif mais aussi en amont, où il y a un travail sur les scènes : on discute alors des failles des personnages, des directions scéniques. Tout le travail de Camille consistait à donner de l'humanité à un personnage au départ assez antipathique et celui d'Elsa était de donner de l'émotion à un personnage déviant, une certaine dose de folie.


  Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : Vous jouez sur le cadre de la mémoire et du point de vue avec la réflexion des différents cadres, miroirs, fenêtres, reflets.

Martine Dugowson : Je dois dire que c'est une constante dans tous mes films ! (rire de la cinéaste). Les personnages sont recadrés et j'évoque la particularité des rapports qu'ils entretiennent avec cette image et cette estime d'eux-mêmes. Comment le cinéma peut-il les décrypter. Il y a plusieurs thèmes à l'intérieur du film et il me semble que la transmission est le sujet principal avec l'identité féminine. Quel regard ont-elles sur elles-mêmes et leur sexualité féminine dans le miroir ? C'est pratiquement très difficile pour Louba alors que Jeannie s'affiche ouvertement au nom du sexe et de l'amour. Mais même pour elle c'est plus compliqué, ce n'est pas un véritable amour qu'elle vit pour cet homme. Il s'agit plus de l'expression d'un manque et d'une obsession qu'elle n'arrive pas à combler.


Objectif Cinéma : L'ouverture du film marque fortement. Il s'annonce comme un engagement politique pour une mémoire engagée avec ce travail opéré sur l'archive comme document vivant.

Martine Dugowson : Je ne dirais pas que c'est un engagement politique mais plutôt un constat, une évocation sur ce qui s'est passé en France. D'un côté, on a un discours sur une France pays des Droits de l'Homme avec sur le fronton des mairies : Liberté, Egalité, Fraternité, et la France comme terre d'asile pour tous les émigrés. Et à plusieurs reprises dans l'histoire de France il y a eu des dérapages assez graves voire criminels.


Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : Paula (Liliane Rovère) dit bien à Louba que cela n'empêche pas De Gaulle d'aller fleurir la tombe de Pétain chaque année...

Martine Dugowson : D'honorer la mémoire d'un criminel. C'est cet espèce de divorce d'une France qui a voulu se voiler la face et se voir belle en son miroir. J'ai mis ces images-là, car à cette époque, juste après la guerre, s'exprimait un racisme et un antisémitisme virulent. Avec, par exemple, des arguments pour se dédouaner sur les allemands jugés seuls responsables. Il n'y a eu aucune parole, aucune action au sein des gouvernements ou des intellectuels ou de l'opinion publique française pour reconnaître ce qui s'est passé pour les Juifs durant la guerre. La parole a continué à être une parole extrêmement mensongère et on a demandé aux Juifs de rentrer dans les rangs et de se taire. Il y a des textes surréalistes où on leur dit " vous n'êtes pas des victimes privilégiés de cette guerre, donc ne la ramenez pas au-devant de la scène, car alors vous allez provoquer de l'antisémitisme ".Et cela se passe au moment de la Libération. Il y a eu ainsi une chape de silence qui recouvre autre chose pour moi, un sentiment d'incroyable indifférence d'un pays qui ne considérait pas que ces juifs français, ou immigrés venus s'installer en France, faisaient partie de la communauté. On leur a juste demander de se faire oublier.