Objectif Cinéma :
Les images d'archives étaient-elles inscrites dans
votre scénario ?
Martine Dugowson : Oui,
dès le début de l'écriture. Le film
commençait sur ce sentiment d'un pays sans mémoire
claire de ce qu'il a fait. Un pays qui met dans un ghetto
une certaine catégorie de la population, que ce soit
des français, des juifs, des juifs immigrés,
des arabes, des noirs. C'est la même chose. Je pense
qu'il y effectivement un discours totalement violent et
mensonger, poussant les gens dans des problèmes d'identité
et de ghetto, car ils vivent dans un pays auquel ils n'appartiennent
pas à part entière.
Objectif Cinéma :
J'aimerais que vous nous parliez
de votre usage du noir et blanc comme document du passé
où les hallucinations de Louba se mêlent aux
documents d'archives.
Martine Dugowson : Louba
est imprégnée de ces images en noir et blanc.
Elle mélange le passé et le présent,
il n'y a pas de frontière entre ce qui s'est passé
avant et sa vie. Les images qu'elle a sont des fantasmes
vécus comme des images d'archives, celles qu'elle
a vues dans les livres. Des choses en noir et blanc contaminant
la réalité qui bascule dans l'archive. Pour
les photos que Paula montre à Louba, elles proviennent
du Centre de Documentation Juif Contemporain. Des gens ont
bien voulu me les donner pour le film. Cette scène,
au tout début du film, fonde le personnage de Louba
où les membres de sa famille sont des figures sur
des photos en noir et blanc, tous assassinés. Elle
a énormément de mal à pouvoir regarder
et fixer ces ascendants. Comment peut-elle se construire
à partir de cet héritage de gens assassinés
d'une façon barbare pour des raisons raciales. Le
film dit qu'il est impossible de regarder ces gens et je
ne voulais pas prendre des photos de ma famille, car il
s'agit d'une histoire plus vaste, de toutes les familles
où il y a ces photos impossibles à regarder.
Elles sont frappées d'un tabou terrible, car il ne
reste pas de trace de ces gens, pas de tombeaux. Seulement
ces instantanés et cela change tout un coup le rapport
que l'on a avec la photographie.
Objectif Cinéma :
Louba adulte se crée du cinéma,
elle est enfant de sa propre mythologie en se créant
de manière fantasmatique une famille, un enfant qui
ne lui appartient pas. Elle ne cesse de voler les images
des autres, et avec Alexandre, elle vit un rapport de régression.
Elle relance l'amour du cinéma en voulant faire semblant
à chaque fois d'être quelqu'un d'autre.
Martine Dugowson : Louba
n'a que des identités volées, elle ne peut
qu'imiter les autres. Faire semblant d'être une mère,
une femme du monde en mettant les habits de Jeannie. Ce
sont des identités usurpées, car elle n'a
pas elle-même d'image constituée de ce qu'elle
peut être. Il y a, je crois, chez ce personnage, le
désir inconscient d'être arrêtée.
Prise en flagrant délit. De vol. De mensonge.