Objectif Cinéma : La
géographie même de la ville est une métaphore
d'exclusion: le centre urbain et sa périphérie
dévastée.
Nabil Ayouch : Le
lieu est très important, et l'histoire est rentrée
dans la mythologie populaire. A Casablanca, il y deux clubs
de football. Les enfants, et pas seulement ceux du film,
se sont appropriés le Rajah tandis que les anciens
supportent le WAC. Depuis, dans les stades, les supporters
clament " Ali Zaoua, Ali Zaoua! " pour encourager
le Rajah... C'est très déstabilisant et gratifiant,
mais ca prouve que le film est ancré fortement dans
son décor. Dans le même temps, mise à
part cette référence sportive, il y a un non-dit
sur le lieu de l'histoire. Eluder cette information, c'était
généraliser le propos, l'étendre à
tous les enfants défavorisés: à Rio,
ils auraient supporté Flamengo! Pour ce qui est de
l'exclusion, c'est plus subtil qu'une simple dichotomie
géographique. Ils vont dans les mêmes endroits
que tout le monde, et on les côtoie régulièrement
à quelques mètres. Pourtant, on ne les voit
pas. c'est une forme d'exclusion qui existe partout, mais
qui n'est pas géographique. Le film a été
un vrai choc au Maroc. Il a fait exister ces enfants devant
des yeux qui ne les captaient pas auparavant.
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Objectif Cinéma : Les
références foisonnent à l'esprit du
spectateur. Qu'elles soient conscientes ou inconscientes,
en revendiquez-vous quelques-unes?
Nabil Ayouch :
Il y a des grands qui m'ont toujours influencé comme
Chaplin ou Welles, mais je ne crois pas qu'ils se retrouvent
ici. Ma démarche est inverse et me pousse à
me protéger de mon patrimoine. Les grands documentaires
ou docu-fictions comme " Los Olvidados " [Buñuel,
NDLR] sont présents à l'esprit de tous. Je
n'ai pas voulu aller vers ces objets-là comme une
documentation possible, ni faire l'effort de les oublier,
parce que le parti-pris d'" Ali Zaoua " est divergent.
Je ne voulais pas me laisser influencer par quelque chose
de proche dans l'objectif, mais différent dans la
démarche... S'il faut parler d'influences, je parlerai
quand même de " Bouge pas, meurs, ressuscite
" de Vitali Kanevski, un film remarquable que j'ai
montré aux enfants. Je leur est aussi montré
un film très différent, pour d'autres raisons,
qui est " Un Monde parfait " de Clint Eastwood.
L'enfant y fait passer une somme d'émotions très
forte, tout en gardant une sorte d'impassibilité
rare chez les jeunes acteurs qui ont tendance à cabotiner.
J'avais un peu peur de cette tendance... Au Maroc, il y
a une tradition du film indien, très théâtral
et orné de scènes musicales que j'avais peur
de retrouver avec les enfants de la rue. Ils se sont contentés
d'être eux-mêmes et n'ont pas surjoué,
tout en gardant la distance entre leur propre vie et leur
personnage.
Objectif-Cinéma :
A ce propos, sont-ils maquillés
?
Nabil Ayouch : Leurs
cicatrices sont vraies, et on les a vus dans des états
bien pires que ce qu'ils sont dans le film. Le seul maquillage
subi était un maquillage technique, sauf pour Saïd
Taghmaoui. Nous ne voulions pas en faire trop et nous avons
" arrangé " les costumes. Evidemment, on
ne les laissait pas habillés comme çà
le soir, quand ils regagnaient la maison qu'ils habitaient
pendant le tournage... Il était très important
en revanche de garder une certaine distance entre leur vie
et ce qu'ils étaient en train de vivre. Pas question
de leur laisser croire qu'ils allaient devenir des stars
de cinéma avec le film, ni de sublimer la rue en
faisant d'elle le théâtre d'un conte, et donc
un lieu " merveilleux ", au sens littéraire
du terme. je me souviendrai toujours de la séance
où on a choisi tous ensemble les noms des personnages
qu'ils allaient interpréter. Ils avaient tous une
incroyable impatience, un réel entrain à l'idée
de rentrer dans la peau de quelqu'un d'autre. Ca reflète
le même désir de s'évader que la religion
où les contes d'Ali. et cet entrain peut dériver
vers de rêves qui rendent la déception plus
cruelle. Seul Boubker, le plus jeune, a bénéficié
vraiment du film en jouant dans une sitcom. Les autres sont
sur des marchés ou sont encore dans la rue. Mais
en avoir aidé un, c'est déjà mieux
qu'aucun...
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2000 Ali
Zaoua
1997
Mektoub
1996
Hertzienne Connexion
1994 Vendeur
de silence
1992
Les Pierres bleues du désert
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