L'ANGLAISE
ET LE DUC Débat avec Arlette Farges
et Christian Jouhaud
Entretien
réalisé à Paris
le 7 septembre 2001
Par Nadia MEFLAH
Objectif Cinéma a fait le
choix d'une discussion avec deux historiens, Arlette Farge
(Historienne, Directrice de recherche au CNRS, productrice
à France Culture de l'émission Les Lundis de
l'Histoire, auteur de plusieurs livres sur le peuple de Paris
au XVIIIe siècle, son dernier livre : La chambre à
deux lits et le cordonnier de Tel Aviv, Le Seuil, 2000 ) et
Christian Jouhaud (Historien , Directeur d'études à
l'EHESS, Directeur de recherche au CNRS, son dernier livre
Les Pouvoirs de la Littérature, histoire d'un paradoxe
NRF essai Gallimard est paru en Février 2000) afin
de présenter au mieux tous les enjeux historiques mais
aussi idéologiques que le film d'Éric Rohmer
L'Anglaise et le Duc cristallise de manière extrêmement
violente. En effet, le dernier film du cinéaste témoigne
d'une radicalité dans le propos politique que l'on
ne doit guère imputer à la seule fidélité
d'une adaptation. Celle-ci est d'ailleurs sujette à
caution : l'édition récente du Journal de ma
vie durant la Révolution Française de Grace
Elliott (les éditions de Paris Max Chaleil, 2001, 160
p) , même très imparfaite, dément parfois
les propos d'Éric Rohmer, tels qu'on les découvre
partout dans la presse. En effet, face aux rares et timides
questions des journalistes sur la présence de choix
idéologiques radicaux dans son film, Rohmer répond
en mettant systématiquement en avant, l'argument de
la fidélité au texte d'origine. Or cette fidélité
peut-être discutée tout comme le statut de ce
texte (les mémoires furent écrits semble-t-il
seulement à partir de 1801 et publiés pour la
première fois en 1859 après avoir été
" arrangés " !).
Pour autant, L'Anglaise et le Duc est
un film troublant car il réussit à imposer
la présence d'un monde disparu, le Paris de la Révolution
Française, par un travail audacieux sur la mise en
image de la ville, où se mêlent une esthétique
quasi primitive du cinéma des origines (des tableaux
peints où s'animent des personnages) et les audaces
techniques de l'incrustation numérique. Or cette
puissance d'évocation du passé, que l'on aimerait
voir plus souvent au cinéma (au lieu de l'habituel
" réalisme " naturaliste et académique),
est au service d'un discours plutôt haineux. Car ce
qui transpire, c'est le corps du peuple massacreur, éructant,
vociférant, qui paraît en permanence sur le
point de s'abandonner à ses pulsions de tortionnaire
et de violeur. Durant plus de deux heures déferle
cette détestation du "peuple", et tous
les moyens techniques et scénaristiques sont engagés
dans cette guerre d'images contre une fantasmatique populace
(la "racaille" selon le cinéaste ( Propos
tenus lors d'un entretien accordé au journal Le Soir,
du 5 Septembre 2001 conduit par Luc Honorez) ).