Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     


 

 

 

 

 
Le débat est ouvert.

Objectif Cinéma : Pour commencer, je voudrais vous lire une phrase du cinéaste extraite d'un entretien avec un journaliste : " à cette époque, le peuple avait souvent des trognes pittoresques et à faire peur. Mais je ne montre pas tout le peuple, une partie seulement. Je filme la populace, les " casseurs " comme on dit aujourd'hui, de la Révolution. " Nous avons vu le film ensemble et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Arlette Farge : Il y a deux choses dans ce qui dit le cinéaste. Il a dû voir des gravures où le peuple est souvent représenté en proie à des misères physiques qui, en effet, étaient très visibles dans les villes du XVIIIe siècle. Il y avait plus de boiteux que de nos jours, de pieds bots, de bouches édentées, etc. Mais ce n'est pas cela que le cinéaste a filmé. Les " trognes pittoresques " lui servent à camper ce qui serait une " nature " populaire. Ce qu'il a montré, ce sont des visages. Personne ne boite dans le film, personne n'est manchot ou aveugle, mais le spectateur voit une nature de visage, qui serait celui du peuple, j'ose à peine dire dégénérée. Ce sont des gens qui ont l'air d'avoir une imbécillité totale, sous la pulsion de choses effrayantes.


Objectif Cinéma (c) D.R.

Objectif Cinéma : Ce qui est stupéfiant dans le film, ajouté à ce choix spécifique de représentation, est tout le travail sur la bande sonore, non naturaliste, et où ces gens éructent, braillent. Il s'agit d'un point de vue violent significatif de la part du cinéaste.

Arlette Farge : Cela m'a beaucoup frappée. Il faut noter deux choses dans la bande son. D'une part la parole des gens du peuple n'en n'est jamais une : ce sont des injures ou des onomatopées, sans jamais des phrases complètes. Or c'était pourtant un peuple qui avait des revendications (pensons simplement aux cahiers de doléances) qui savait parler, dire ce qui ne lui convenait pas, ce qu'il subissait, même si ce n'était pas avec le vocabulaire et les expressions des philosophes. De l'autre côté, il y a les belles phrases de Grace Elliot et du Duc d'Orléans. Autre différence à noter, lorsque apparaît le peuple en incrustation on perçoit une sorte de grondement : la bande son est alors extraordinairement sourde, presque animale.

Je trouve très curieux, qu'au nom de l'analyse d'une forme jugée audacieuse et superbe, tous les critiques abandonnent l'analyse idéologique. Il me semble que l'idéologie est pourtant là, tellement forte, que l'on ne doit pas l'écarter. En outre, le cinéaste n'a cessé de renforcer son propos dans les nombreux entretiens qu'il a accordés.