Objectif Cinéma :
D'où vient le mot "
populace " ?
Arlette Farge : Cela
fait des années que l'on se bat, comme historiens,
contre l'usage spontané de ce mot. C'est un mot souvent
employé aux 18ème siècle, mais jamais
par ceux qu'il désigne, car le peuple sait parler
de lui-même. Populace surgit lorsqu'il y a des rassemblements,
des troubles et ce sont alors les policiers, les magistrats,
les " élites " et parfois les publicistes,
voire les philosophes, qui emploient ce mot. C'est un terme
controversé pour les historiens, et ce, dès
son apparition. Que le cinéaste le reprenne comme
si c'était évident qu'il y avait une populace
laisse à penser qu'il en existe toujours une actuellement.
D'ailleurs, il rapproche très spontanément
sa " populace " des " casseurs " actuels.
En outre, dire qu'il n'y avait que les " casseurs "
pour faire la Révolution, c'est tomber dans la non
intelligence et la non réalité. Aucune révolution
ne s'est faire qu'avec des casseurs. Employer le mot "
casseur " pour la Révolution française
est d'ailleurs un évident anachronisme. Tous les
glissements opérés par Eric Rohmer sont des
erreurs historiques, alors même qu'il prétend
vouloir donner une leçon d'histoire.
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Objectif Cinéma :
Peut-on dire que son film est un
règlement de compte politique ?
Christian Jouhaud : Je
ne sais pas si c'est un règlement de compte (avec
qui ? ou quoi ?). Ceux qui aiment bien son cinéma,
comme moi, qui connaissent ses films et suivent sa filmographie,
avaient l'image de quelqu'un qui était beaucoup dans
l'air du temps, avec une attention particulièrement
vive accordée à la vérité des
êtres et de leur parole. Dans l'Anglaise et le duc,
on retrouve bien, à travers toute une série
de choix techniques (une manière de filmer, de penser
les décors, les mouvements des personnages dans ces
décors, de construire des dialogues), cette "
manière " rohmérienne. Pourtant si lui-même
définit bien son projet comme service d'une vérité,
on ne peut s'empêcher immédiatement de se demander
quelle vérité. Quand Rohmer nous montre nos
contemporains, peut-être tempérons-nous spontanément
la vision " vraie " qu'il en propose par notre
expérience. Ici nous devons accepter sa vérité
du passé (fondée d'après lui sur la
vérité d'un texte qu'il sert) sans cette prise
de distance spontanée.
C'est pour cela qu'on ne peut faire autrement que de confronter
notre expérience de spectateur en face de ce film
aux discours de réception qui foisonnent dans la
presse, à cette sorte de déferlante d'articles
et d'entretiens accordés par le cinéaste qui
commente à longueur de pages de quotidiens, d'hebdomadaires,
de mensuels, de radios, ce qu'il a voulu faire. A savoir,
donc, servir la parole de vérité de cette
femme qui s'appelle Grace Elliot. Une vérité
conservée dans un écrit d'ailleurs introuvable
jusqu'à ces derniers jours : les mémoires
de Grace Elliott viennent d'être réédités,
malheureusement assez mal.