Entretien
réalisé en 2001
à Venise à l'occasion du festival
Par Gilles LYON CAEN
Jacques Rozier, né à
Paris en 1926, a étudié à l'IDHEC puis
a tourné des courts métrages dont Paparazzi,
Dans le vent, et Blue Jeans. En quatre décennies,
en dehors de ses films pour la télévision et
des documentaires, il n'a eu l'occasion de réaliser
que quatre longs métrages. Fifi Matringale,
son dernier film, fut présenté durant l'édition
2001 de festival de Venise qui fut l'occasion de lui poser
quelques questions.
" LE SCENARIO EST UN SQUELETTE"
Objectif Cinéma :Fifi
Martingale porte longtemps
un regard grinçant sur la vieillesse du comédien.
Mais le grotesque devient ensuite pathétique
Comment bascule-t-on de l'un à l'autre ?
Jacques Rozier :Ce
sont des choses qui arrivent, se fabriquent au cours de la
préparation du film. Jean Lefèvre, comédien
comique de théâtre de boulevard, travaille avec
des effets appuyés. J'ai été surpris
plusieurs fois par son jeu et, parfois, son soudain pathétisme
qui fait éprouver une certaine tendresse pour lui.
Objectif Cinéma :On remarque une bascule. Au début,
son personnage se caractérise par la performance théâtrale
: il regarde rapidement un texte, puis le récite par
cur...
Jacques Rozier : Oui,
à l'origine de cela, on dit que les autistes, ou anciens
autistes, ont une mémoire très développée.
On entend dire " c'est un ex-autiste " :
on est là dans la comédie de boulevard. Vous
parlez de bascule Il a bu quelques verres de trop, et
on ignore au début que lorsqu'il boit, sa mémoire
s'envole. Il est engagé pour sa mémoire fabuleuse,
mémoire qui disparaît lors des représentations.
Et cela devient pathétique, même pour moi qui
suis le premier spectateur du film. On éprouve, pour
lui, l'angoisse du comédien en scène, devant
une salle qui l'écoute, et lui a perdu ses moyens.
Au début, un scénario, c'est un squelette, pas
vraiment un film. On travaille par petites touches, par la
musique, le montage. Comme un peintre, qui part d'une idée
initiale avec la matière, les couleurs Je travaille
ainsi : à la fois avec un plan très précis
et une ouverture à la sensibilité.
Je voudrais faire ma propre critique : c'est la première
projection publique, et le film a fonctionné exactement
comme je pensais. Le scénario comporte peut-être
une certaine disproportion. Beaucoup de choses, dans Fifi
Martingale, se passent sur la scène de L'Oeuf
de Pâques. Il aurait mieux fallu raccourcir le film
pour qu'il s'étale sur une bobine et demie (il en fait
deux et demie). Car j'aime garder la vertu, même pour
Fifi , de voir un film en tant que spectateur. Il n'y
a pas des longueurs mais la proportion n'est pas bonne, au
début. Mais tout se met en place et doit fonctionner,
avec l'arrivée de Gaston (Jean Lefèvre).