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Goran Paskaljevic (c) D.R. GORAN PASKALJEVIC
Un film sur la haine absolue
Entretien réalisé lors
du festival de Venise en 2001
Par Gilles LYON-CAEN


Goran Paskaljevic est né à Belgrade (1947) et a fait ses études à la FAMU Film School de Prague. Il a réalisé une trentaine de documentaires et 12 longs métrages dont beaucoup ont été présentés et récompensés dans de nombreux festivals internationaux de renom. La montée du nationalisme en Yougoslavie l'a contraint à quitter son pays en 1992. Il s'installe à Paris en 1994, tout en faisant de nombreux allers et retours dans son pays d'origine pour garder le contact avec sa famille. En 1998, il y retourna pour tourner Baril de Poudre, mais son opposition ouverte au régime de Milosevic lui valut des critiques violentes et menaçantes de la presse officielle. C'est pourquoi, il décida une fois de plus de quitter sa terre natale à la recherche d'un pays d'accueil pour son film Comment Harry est devenu un arbre. Ce fut l'Irlande. Il retourna à Belgrade après la chute du régime Milosevic.


  How Harry became a tree (c) D.R.
Objectif Cinéma : Comment expliquez-vous le choix de faire un film en Irlande, et ce grand écart avec votre pays d'origine, la Serbie ?

Goran Paskaljevic : J'ai fait ce choix car je ne pouvais pas faire mon film en Serbie. C'était physiquement très dangereux de rester là-bas : ils m'ont attaqué violemment, ils ont même envoyé la police dans mon appartement… Je m'opposais au régime de Milosevic, en particulier depuis Baril de poudre, mon dernier film. L'année dernière, il était impossible de rentrer chez moi. Puis j'ai rencontré Riccardo Todzic, qui a voulu travailler avec moi, et j'ai eu l'idée de faire un film basé sur une nouvelle chinoise évoquant l'histoire d'un homme fou, qui invente lui-même l'ennemi. J'ai compris que je ne pourrais pas le réaliser en Italie, car c'est un pays qui a un sens de l'humour complètement différent et qui n'a pas connu de grande période de haine comme la nôtre. Les Irlandais, eux, ont eu leur ennemi : l'Empire anglais. Les Serbes et les Irlandais ont un sens de l'humour commun. Et après trois mois passés sur les lieux de tournage, j'ai compris que je pourrais faire le film en Irlande. C'est très difficile de changer de pays pour faire un film. Beaucoup de metteurs en scène quittent leur pays pour Hollywood, mais Harry est loin d'être un film hollywoodien. Voyez le plus grand film, selon moi (mon modèle), qui est Vol au dessus d'un nid de coucous, de Milos Forman : c'est un film américain, mais c'est une immense métaphore sociale et politique de son pays, la Tchécoslovaquie. Harry et son système procèdent de la sorte : cela ne sert à rien de s'échapper de son culture.

Objectif Cinéma : Au lieu d'évoquer la haine nationale en Irlande, haine politique ou religieuse, vous focalisez la haine entre deux hommes, ce qui rend l'histoire plus universelle…

Goran Paskaljevic : C'est ce que je voulais faire, car je ne pouvais pas faire de film sur ce problème spécifique. Je me tiens aux personnages : c'est la facture classique du film, j'ai été inspiré pour cela par les films de John Ford. Mais si j'étais d'abord effrayé pendant le tournage du film, j'en suis maintenant très fier. D'ailleurs, le Directeur de la Fondation du film irlandais m'a envoyé un fax après avoir vu le film pour me féliciter, et me dire que j'avais fait un des meilleurs films irlandais jamais faits !