Objectif Cinéma : Comment
expliquez-vous le choix de faire un film en Irlande, et ce
grand écart avec votre pays d'origine, la Serbie ?
Goran Paskaljevic : J'ai
fait ce choix car je ne pouvais pas faire mon film en Serbie.
C'était physiquement très dangereux de rester
là-bas : ils m'ont attaqué violemment, ils
ont même envoyé la police dans mon appartement
Je m'opposais au régime de Milosevic, en particulier
depuis Baril de poudre, mon dernier film. L'année
dernière, il était impossible de rentrer chez
moi. Puis j'ai rencontré Riccardo Todzic, qui a voulu
travailler avec moi, et j'ai eu l'idée de faire un
film basé sur une nouvelle chinoise évoquant
l'histoire d'un homme fou, qui invente lui-même l'ennemi.
J'ai compris que je ne pourrais pas le réaliser en
Italie, car c'est un pays qui a un sens de l'humour complètement
différent et qui n'a pas connu de grande période
de haine comme la nôtre. Les Irlandais, eux, ont eu
leur ennemi : l'Empire anglais. Les Serbes et les Irlandais
ont un sens de l'humour commun. Et après trois mois
passés sur les lieux de tournage, j'ai compris que
je pourrais faire le film en Irlande. C'est très
difficile de changer de pays pour faire un film. Beaucoup
de metteurs en scène quittent leur pays pour Hollywood,
mais Harry est loin d'être un film hollywoodien.
Voyez le plus grand film, selon moi (mon modèle),
qui est Vol au dessus d'un nid de coucous, de Milos
Forman : c'est un film américain, mais c'est une
immense métaphore sociale et politique de son pays,
la Tchécoslovaquie. Harry et son système procèdent
de la sorte : cela ne sert à rien de s'échapper
de son culture.
Objectif Cinéma : Au
lieu d'évoquer la haine nationale en Irlande, haine
politique ou religieuse, vous focalisez la haine entre deux
hommes, ce qui rend l'histoire plus universelle
Goran Paskaljevic : C'est
ce que je voulais faire, car je ne pouvais pas faire de
film sur ce problème spécifique. Je me tiens
aux personnages : c'est la facture classique du film, j'ai
été inspiré pour cela par les films
de John Ford. Mais si j'étais d'abord effrayé
pendant le tournage du film, j'en suis maintenant très
fier. D'ailleurs, le Directeur de la Fondation du film irlandais
m'a envoyé un fax après avoir vu le film pour
me féliciter, et me dire que j'avais fait un des
meilleurs films irlandais jamais faits !