La fragilité des deux comédiens
(devant leurs rôles, devant les fauves) emportée
par la détermination de leurs personnages, est réellement
touchante. Lors de chaque scène, en présence
ou non des fauves, ils semblent entreprendre le trajet d'un
funambule : le péril est ressenti en permanence,
vont-ils trébucher, balbutier ? Roselyne et les lions
est autant le portrait de deux artistes dompteurs en phase
d'apprentissage (de leur métier, de la vie) que celui
de deux jeunes comédiens.
Le film est familier pour les amateurs des
films de Beineix, on y retrouve quelques constantes : la transmission
du savoir, la reconnaissance intime et parfois inavouée
de personnages qui n'auraient jamais dû se croiser (argument
scénaristique central du cinéma que Beineix
traite toujours avec suffisamment de sincérité
et d'émotion pour qu'on puisse marcher), le rite initiatique
de jeunes gens passionnés pris en tenaille entre adolescence
et âge d'adulte, leurs interrogations fondamentales
(un artiste est-il obligé de perdre son innocence pour
" réussir " ?) engendrant une discrète
mélancolie.
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A l'image de ses héros et de son
histoire allégorique, Jean-Jacques Beineix a dû
batailler ferme pendant onze ans, pour enfin réaliser
cette version intégrale. Avec au bout de la route,
le petit compromis de voir le film diffusé uniquement
à la télévision, alors que son lyrisme
le destinait d'abord au cinéma. Pour l'avoir vu à
sa sortie, puis lors de sa diffusion dans une version tronquée
sur Canal Plus, on peut dire que le film reconquiert aujourd'hui
son ampleur, une drôlerie iconoclaste. La ballade
de " ces deux enfants perdus dans le monde " n'en
devient que plus émouvante. Roselyne et les lions
retrouve l'intégralité de ses séquences
(Carole Fredericks, diva juchée au milieu des lions)
ou de certains mouvements de caméra (art du travelling
et de la louma), remet à l'honneur des personnages
secondaires qui n'avaient précédemment que
quelques mots à jouer (Hassan, le garçon d'écurie
du zoo miteux de Frasier). Dans la version intégrale,
quelques seconds rôles mémorables prennent
davantage d'épaisseur : du nain poète qui
construisait d'immenses châteaux de cartes à
Günter, le dompteur mélancolique qui ne pouvait
plus dompter les lions, en passant par Braquard, le professeur
d'anglais interprété par l'immense Philippe
Clévenot, récemment disparu (dont la présence
domine toute la première partie de la nouvelle version).
Roselyne et les lions, le film né des rêves
d'un adolescent du fond d'une salle de classe, redevient
réalité.