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JEAN-JACQUES BEINEIX
Sauver son innocence
Entretien réalisé
le 16 octobre 2001 à Paris
Par Bernard PAYEN


Roselyne et les lions, quatrième long-métrage de Jean-Jacques Beineix, est un film aussi familier que singulier dans sa carrière. Singulier car Roselyne est le seul film de Beineix qui n'est pas adapté d'un roman. La vie de Thierry Le Portier, dompteur et éleveur d'animaux pour le cinéma, était suffisamment romanesque pour constituer le matériau d'un long métrage de cinéma. Et suffisamment proche du cinéaste, par certains côtés, pour qu'il en fasse son film le plus personnel. Roselyne et les lions, c'est la quintessence du cinéma de Beineix. C'est un film-test. Certains maudiront une fois de plus ce qu'ils appelleront un mélange de naïveté et de kitscheries. Les autres apprécieront la fresque feuilletoniste décalée dépeignant l'obstination des artistes. Thierry et Roselyne, ou le road-movie de deux âmes fortes.


  Objectif Cinéma (c) D.R.

La fragilité des deux comédiens (devant leurs rôles, devant les fauves) emportée par la détermination de leurs personnages, est réellement touchante. Lors de chaque scène, en présence ou non des fauves, ils semblent entreprendre le trajet d'un funambule : le péril est ressenti en permanence, vont-ils trébucher, balbutier ? Roselyne et les lions est autant le portrait de deux artistes dompteurs en phase d'apprentissage (de leur métier, de la vie) que celui de deux jeunes comédiens.

Le film est familier pour les amateurs des films de Beineix, on y retrouve quelques constantes : la transmission du savoir, la reconnaissance intime et parfois inavouée de personnages qui n'auraient jamais dû se croiser (argument scénaristique central du cinéma que Beineix traite toujours avec suffisamment de sincérité et d'émotion pour qu'on puisse marcher), le rite initiatique de jeunes gens passionnés pris en tenaille entre adolescence et âge d'adulte, leurs interrogations fondamentales (un artiste est-il obligé de perdre son innocence pour " réussir " ?) engendrant une discrète mélancolie.

Objectif Cinéma (c) D.R.

A l'image de ses héros et de son histoire allégorique, Jean-Jacques Beineix a dû batailler ferme pendant onze ans, pour enfin réaliser cette version intégrale. Avec au bout de la route, le petit compromis de voir le film diffusé uniquement à la télévision, alors que son lyrisme le destinait d'abord au cinéma. Pour l'avoir vu à sa sortie, puis lors de sa diffusion dans une version tronquée sur Canal Plus, on peut dire que le film reconquiert aujourd'hui son ampleur, une drôlerie iconoclaste. La ballade de " ces deux enfants perdus dans le monde " n'en devient que plus émouvante. Roselyne et les lions retrouve l'intégralité de ses séquences (Carole Fredericks, diva juchée au milieu des lions) ou de certains mouvements de caméra (art du travelling et de la louma), remet à l'honneur des personnages secondaires qui n'avaient précédemment que quelques mots à jouer (Hassan, le garçon d'écurie du zoo miteux de Frasier). Dans la version intégrale, quelques seconds rôles mémorables prennent davantage d'épaisseur : du nain poète qui construisait d'immenses châteaux de cartes à Günter, le dompteur mélancolique qui ne pouvait plus dompter les lions, en passant par Braquard, le professeur d'anglais interprété par l'immense Philippe Clévenot, récemment disparu (dont la présence domine toute la première partie de la nouvelle version).

Roselyne et les lions, le film né des rêves d'un adolescent du fond d'une salle de classe, redevient réalité.