Entretien
réalisé en 1993 et 1996
Par Bernard PAYEN
En s'entretenant deux fois avec René
Féret, en décembre 1993 et en juillet 1996, nous
justifions amplement cette volonté, tant de fois évoquée,
de parler des auteurs modestes délaissés par les
modes. René Féret est un réalisateur discret
qui a tracé depuis une vingtaine d'années son
sillon, essentiellement autobiographique. Propos d'un acteur-réalisateur-producteur.
René Féret :" A l'âge de vingt ans,
j'ai fait une dépression nerveuse après la mort
de mon père et je fus interné quelque temps
en psychiatrie, comme je l'ai raconté dans mon film
" La place d'un autre ". Cet enfermement, qui a
duré quelques semaines, m'avait frappé parce
que j'avais observé des choses tout à fait nouvelles.
Je n'avais de cesse de faire quelque chose de cette expérience
: j'étais acteur de théâtre mais je sentais
que seul le cinéma montrerait le mieux l'étalement
du temps, la solitude, ou les rapports entre les différents
groupes dans l'institution. Je me suis attelé alors
à l'écriture du scénario de mon premier
film " Histoire de Paul ", puis j'ai fait le film
vaille que vaille, sans moyens : l'aventure habituelle d'un
premier film. "
Je suis rentré directement dans cette voie autobiographique
avec ce film, puis avec " la communion solennelle ",
qui était moins directement autobiographique car il
racontait l'histoire de mes ancêtres. J'ai ensuite arrêté
d'introduire ce thème dans mes films jusqu'à
" Baptême ", qui couvrait l'enfance, le souvenir
des ancêtres et l'adolescence. "
ACTEUR(S)
René Féret :" Je ne sais pas si le métier
d'acteur m'a " sauvé ", c'est surtout le
fait de créer et recréer ce qui est indispensable
à mon équilibre. Cela a commencé par
le métier d'acteur mais cela s'est solidifié
par le fait d'être auteur. En étant auteur,
j'ai pu me mesurer à une problématique avec
des armes artistiques réelles. Un acteur est toujours
en train d'attendre l'accomplissement de lui-même
à travers des propositions extérieures multiples
qui parfois le détournent, au lieu de l'amener à
une connaissance réelle de lui-même. La pratique
du jeu d'acteur est proche de l'écriture du scénario,
c'est exactement le même métier : un acteur
doit mettre en place les tenants et les aboutissants d'un
personnage en l'alimentant de son expérience personnelle
et d'idées artistiques spécifiques. C'est
la même chose pour le scénariste. Quand j'écris,
j'ai le sentiment d'exercer le métier d'acteur. C'est
pour cela que je soigne toujours mon rapport avec les acteurs,
je vais dans les cours et je dialogue toujours beaucoup
avec eux. Je les dirige d'une manière complètement
technique, par exemple si on dit à un acteur : "
il faut le faire comme ça ", cela ne lui suffit
pas, ou alors s'il est très discipliné, il
va le faire pour vous faire plaisir, mais ne le fera pas
dans son propre style. Si par exemple il doit jouer une
scène de fou-rire dans un cimetière, l'acteur
doit alors retrouver une démarche d'acteur qui lui
est propre, liée à des souvenirs ou à
quelque chose d'inventé, pour que la chose sorte
d'une façon naturelle. S'il ne fait qu'appliquer
ce qu'on lui demande, ce n'est pas terrible. "