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Pascal Lamy PASCAL LAMY
Comissaire européen
Entretien réalisé par Yann Raymond


Depuis les dernières Rencontres de Beaune à l'automne 2000, les prises de position de Pascal Lamy, concernant la manière dont il envisage l'avenir du cinéma en Europe, ont fait grincer les dents de Catherine Tasca, actuelle ministre de la culture, comme celles de la plupart des agents moteurs du cinéma français. Le commissaire européen chargé du Commerce extérieur remet en cause le mode d'organisation protectionniste à la française. Un entretien s'imposait donc, pour éclaircir ses arguments et connaître ses points de vue sur les bouleversements que subit en partie le cinéma français.


Objectif Cinéma : Quel est exactement votre rôle en tant que commissaire au commerce ?

Pascal Lamy : En tant que Commissaire, membre du collège que constitue la Commission, je participe étroitement au processus d'élaboration des règles que propose la Commission. En tant que Commissaire responsable de la politique commerciale, mon rôle est de promouvoir la politique audiovisuelle sur un plan international et d'assurer une adéquation entre les engagements internationaux de la Communauté et de ses Etats membres et la politique interne. Par ailleurs, je veille aux développements dans les pays tiers, de sorte à attirer si nécessaire l'attention des régulateurs internes sur la nécessité de réagir à une nouvelle donne internationale.


Objectif Cinéma : Quelles conclusions tirez-vous de ce qui a été dit à Beaune par Catherine Tasca ? A votre avis, le maintien d'un système de soutien tel qu'il est aujourd'hui pratiqué en France est-il compatible avec l'existence d'un projet culturel européen efficace ?

Pascal Lamy : Le maintien d'un système de soutien français n'est certainement pas, par principe, incompatible avec un projet culturel européen et il appartient en premier lieu à la France de s'assurer de son efficacité. La Commission européenne, de son côté, veille à ce que ce soutien national s'inscrive harmonieusement dans le respect des Traités et du droit à la mobilité des personnes et des services en Europe. Mais ceci n'entre pas directement dans mes compétences, en tant que commissaire au commerce.


Objectif Cinéma : Qu'apporterait de plus un changement du mode de vote, aux différentes cinématographies ?

Pascal Lamy : Le changement du mode de décision au sein du Conseil n'affecte pas la sphère de l'audiovisuel : il devait permettre à la Communauté de sortir d' une politique extérieure souvent trop défensive en matière audiovisuelle et d'évaluer vers une politique plus pro-active. En effet, la lourdeur des prises de décision à l'unanimité limite les possibilités d'action et ne laisse de place qu'à la réaction, inévitablement plus lente et moins inventive. De plus, la difficulté de réunir l'unanimité des Etats membres ne fait que s'accroître au fur et à mesure des élargissements successifs de l'Union européenne à de nouveaux membres.


Objectif Cinéma : Est-ce que la présidence française de l'Union Européenne a permis, selon vous, de débloquer la situation plus rapidement vis à vis de l'Angleterre, de la Hollande, et de l'Allemagne ? N'est-ce pas une suite logique aux attaques envers la manière dont est organisée l'industrie du cinéma français?

Pascal Lamy : La question se réfère probablement aux difficultés rencontrées au sein de la Communauté pour adopter le programme MEDIA plus. Cette expérience illustre parfaitement mon propos quand je militais en faveur de l'abandon de la règle de l'unanimité qui rend toute décision extrêmement difficile car tous les Etats doivent donner leur accord.


Objectif Cinéma : L'Europe représente-t-elle véritablement un avenir, selon vous, pour les industries nationales ?

Pascal Lamy : Je constate que la demande de contenu culturel est double : elle porte majoritairement soit sur des films à contenu fortement local soit sur des productions à contenu universel, de type block-busters hollywoodiens. Le cinéma en Europe a souvent un contenu culturel fortement marqué par la nation. Il risque donc de rester une industrie que je qualifierai de marginale sur un plan international, j'entends par-là, sans aucun jugement de valeur, que ces films seront vus essentiellement sur leurs marchés nationaux. Pour garder sa diversité culturelle mais sortir du ghetto national, ce cinéma doit viser le marché européen, parce que la proximité culturelle entre les différents Etats membres le rend possible. Mais, il y a encore beaucoup à faire en ce sens. A ce jour, la circulation des œuvres européennes en Europe, bien qu'en net progrès, reste très en deçà de ce que l'on pourrait attendre.