Objectif Cinéma :
Sinon, il faut directement s'adresser
aux sociétés de production ?
Jacqueline Cohen : Oui,
mais sur le plan de l'écriture, il faut s'apprendre
les uns aux autres.
Objectif Cinéma : Ce
manque de parcours officiel ne révèle-t-il
pas un manque de reconnaissance de cette profession ?
Jacqueline Cohen : Elle
est de moins en moins reconnue, car il y avait une époque
où le nom des acteurs de doublage était inscrit
au générique de fin. Maintenant on se bat
pour qu'il y ait le nom des auteurs ! C'est de moins en
moins reconnu, ça c'est sûr. C'est un cercle
vicieux : moins c'est reconnu, moins c'est bon, et moins
c'est bon, moins c'est reconnu. Un exemple : pour les sous-titres
de " Hamlet ", à la fin de la projection,
le directeur d'UGC vient me voir et me dit " Alors,
contente ? ". Je lui dis " contente du travail
mais pas du résultat ". Il me rétorque
que tout de même, "c'est du bon boulot",
et là je conclus : " Et quand on pense que même
ma mère ne va pas savoir ! " (parce que ma mère
se plaint toujours que mon nom arrive le dernier). Il est
allé voir le responsable de la traduction et il a
dit " la mère de Jacqueline veut qu'on mette
son nom ". Et donc ça a donné lieu à
une chose extraordinaire : sur la dernière image
on lit un film de Kenneth Branagh, sous-titres Jacqueline
Cohen. Alors Hervé Icovic, qui assistait à
Cannes à la projection du film, me téléphone
et me dit "écoute !" : j'entendais un bruit
de fond indistinct, un brouhaha, et je lui demande ce que
c'est, il me répond : " ça c'est les
applaudissements qui saluent ton nom ". Evidemment
! Les deux noms étaient affichés en même
temps, alors ! Enfin ça c'est rarissime.
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Objectif Cinéma : C'est
une anecdote en forme d'exception confirmant la règle
?
Jacqueline Cohen : Hélas
oui, mais il y a encore des gens qui se battent. Quand on
pense qu'un film est exploité à 70 ou 80%
en VF, et que les spectateurs n'ont pas le droit de savoir
qui s'en est chargé ! Quand j'étais comédienne
de plateau, j'avais rêvé d'une grève
des acteurs de doublage. Peut-être que là,
le message serait passé, on aurait vu que cela a
une importance. Personne n'en accorde beaucoup à
ce sujet car mieux le film est fait, moins on se pose de
questions, mais le manque de reconnaissance est un peu attristant.
Objectif Cinéma : Mais
ce problème ne vient-il pas du fait de certaines
séries télévisées mal doublées
?
Jacqueline Cohen : Oui,
entre autres. Toujours les mêmes voix, les défauts
de synchronisation...
Objectif Cinéma :
Cette profession n'est-elle pas
condamnée à rester dans l'ombre ?
Jacqueline Cohen : Mais
le paradoxe est là : c'est une profession de l'ombre.
Le bon doublage se fait oublier. Hervé Icovic dit
que si le doublage est bon, on ne doit pas en parler. En
revanche, les critiques dans les magazines de télé
ne se privent pas de souligner les mauvaises traductions
dans le genre " Bon film, malgré une version
française désastreuse ". Une fois, j'ai
rencontré l'un de ces journalistes et je lui ai demandé
pourquoi il écrivait ça ? Car peut-être
était-ce la version originale qui était désastreuse,
ou le film lui-même ? Il m'a répondu de manière
évasive, " Ah oui ". Et c'est un préjugé
de plus ! Mais il est vrai que la traduction est une profession
de l'ombre. Je me souviens qu'Eric Kahane avait adapté
Pinter - je croyais que ce n'était pas possible !
- et la comédienne Marianne Basler me disait "
C'est merveilleux de dire les mots de Pinter ! ". Mais
elle se trompait car il s'agissait de la traduction d'Eric
Kahane avant tout ! Hélas, il est rarissime de voir
apparaître le nom des traducteurs pour les textes
littéraires adaptés au théâtre
: il existe tant de pièces de Shakespeare jouées
en France sans qu'on sache forcément de qui vient
le texte français.
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