Objectif Cinéma :
On vous a souvent accusé
de faire des mouvements de caméra gratuits alors
qu'ils ont pour moi une véritable fonction... Une
figure de style revient souvent, c'est un travelling avant
qui précède l'action, avant que la caméra
ne se recule en un travelling arrière. Dans "Diva",
c'est la même chose avec des zooms...
Jean-Jacques Beineix : Dans
"Diva", les travellings sont combinés dans
des mouvements de zooms et souvent dans des panoramiques.
Je me souviens avoir du les imposer à Philippe Rousselot,
il trouvait que ça faisait télé. Quelques
metteurs en scène m'ont frappé par leur gestuelle
de la caméra, pour n'en citer que deux : Welles,
Antonioni, l'un des plus grands stylistes, à la très
grande beauté formelle, très simple, très
épurée, et Visconti aussi, qui justement utilisait
le zoom combiné avec des travellings.
Objectif Cinéma : Ces
mouvements expriment une durée.
Jean-Jacques Beineix : Oui.
Je pense que le plan séquence est l'un des hauts
lieux de la maîtrise cinématographique.
Objectif Cinéma :
Finalement, vos films ne sortent pas souvent avec leur véritable
durée. Est-ce qu'ils ne seraient pas reçus
différemment par la critique s'ils sortaient directement
dans leur intégralité ?
Jean-Jacques Beineix : Je
pense que cela ne changerait rien. Mais il faudrait faire
l'expérience. Je crois que les jeux sont faits avant
qu'ils ne voient le film. De toute façon, je n'aurais
de cesse de remonter tous mes films, les uns après
les autres, histoire de mettre mes affaires en ordre.
Je ne pourrais pas le faire pour "La lune dans le caniveau"
car tout a été détruit (voilà
ce qui arrive quand les uvres sont laissées
aux mains des bureaucrates ou des grands groupes). Il y
a quelques temps on me demandait du matériel pour
Diva. J'ai envoyé les quémandeurs chez Canal+,
ce sont eux désormais les propriétaires. Malheureusement
le matériel était inexistant.
Depuis l'aventure de la Lune dans le Caniveau, je garde
tout. "IP5" aurait pu être un peu plus long,
il y avait deux très jolies scènes avec Montand
que j'ai enlevées car elles ne s'imposaient pas.
Il y avait notamment une scène de Montand, à
la fenêtre, qui était très belle. Il
était de dos, face à une église et
racontait une histoire assez magnifique sur le temps qui
passe. Ce serait bien de la remettre, en plus c'est très
faisable. Toujours le gain de temps, aller plus vite, à
l'essentiel : c'est éreintant !! Je m'en veux, mais
en même temps les films ne seraient pas sortis dans
leur durée originelle ! "37°2" Le Matin
en version de 3h est meilleur qu'en version de deux heures,
mais à deux heures, ça fonctionne tout de
même bien : c'est pour ça que c'est passé.