JE SUIS UN AVENTURIER
Rencontrer Jean-Claude Brisseau impressionne
sur deux points : l'homme est grand, très grand et
sa voix impérieuse n'en atteste pas moins d'une sensibilité
toute féminine. Il a accepté avec une générosité
qui lui fait honneur de nous accorder un long entretien
ou sa voix rocailleuse, étourdissante de fièvre
cinéfils, tisse le lien de sa mémoire d'homme
du cinéma. Chez lui, Jean-Claude Brisseau vous écoute,
attentif, l'oreille aux aguets, soucieux de respecter la
demande de l'autre, cet humain qu'il ne cesse de transfigurer
à travers tous ces films. L'homme est aussi suffisamment
homme pour laisser transparaître une séduction
à double tranchant, à la fois Gary Cooper
(le fauve endormi) et la brutalité triste telle John
Wayne dans La Prisonnière du désert
de John Ford.
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Sa filmographie atteste d'une rigueur
implacable rare dans le cinéma français, dans
sa capacité à réinscrire le genre dans
une logique de désir de cinéma. Son premier
film Un jeu brutal commence par un meurtre dans les
bois, scène d'horreur digne du cinéma maniériste
américain des années soixante-dix. Il annonce
et préfigure tous les fils rouges que le cinéaste
n'aura cesse de tisser et d'approfondir : la violence au
cur de la vie, la corruption sociale, la quête
de la lumière, le désir érotique, la
famille, la transmission du savoir, la mystique du présent.
Cinéaste matérialiste, Jean-Claude Brisseau
est frère de Jacques Tourneur pour sa capacité
quasi sidérante à nous faire douter du plan
(Céline est à ce jour le plus grand
film fantastique, à tous point de vue, du cinéma
français moderne) mais aussi de John Ford (la communauté,
l'histoire, la terre) et d'Anthony Mann (la culpabilité,
la violence) lorsque le cinéaste a cur de transmettre
une histoire d'homme. Son dernier film, Les Savates du
Bon Dieu radicalise son propos politique lorsqu'il donne
à voir un jeune homme tournant en rond dans son jouet,
une Ferrari rouge. Film romanesque ou la cavale des amants/voleurs
évoque celle sublime de Henry Fonda et Sylvia Sidney
dans You only live once de Fritz Lang 1937, Jean-Claude
Brisseau, et ce malgré la fin ambiguë du récit,
affirme sa volonté, presque désespérée,
de croire encore à l'amour. Ce cliché, terme
que certains journalistes lui assènent et reprennent
sans en comprendre tous les liens et filiations que cette
idée d'image (un cliché) sécrète
comme richesse potentielle, situe l'auteur dans une perspective
de recherche (les genres) mais aussi de preuve (le temps
du récit).
" JE SUIS ARRIVE AU CINEMA PAR
L'AMATEURISME COMPLET "
Jean-Claude Brisseau : Je
suis entouré de films de gens morts. C'est quasiment
un cimetière que j'ai autour de moi, les cinéastes
ne sont plus là. Ils sont morts. Sauf ceux de la
Nouvelle-Vague et Jean-Luc Godard m'avait beaucoup marqué,
surtout dans sa première période, jusqu'à
Week-end en 1967. .Après moins. Godard ne me paraissait
pas extrêmement novateur dans tout ce qui s'est dit
autour du montage, en ce sens que Welles l'avait fait avant
lui. Selon moi, l'essentiel réside dans Le Mépris
en 1963 et surtout dans cette phrase le cinéma
substitue à notre regard un monde qui s'accorde à
nos désirs. C'est exactement ce que je voyais dans
ces films lorsqu'il décidait de mettre sa caméra
à dix ou vingt mètres pour filmer une bagarre
et prenant ainsi un caractère dérisoire. Ou
bien, brutalement sa voix off et les coupes font que l'on
fuit vers quelque chose d'autre. Ce décalage poétique
m'était très frappant.