Objectif Cinéma : En
voyant vos films, je pense à John Ford, lorsque vous
inscrivez vos personnages dans un mouvement de mélancolie
lors d'un voyage. Il y a aussi la famille, lieux de tous
les affects que Ford et vous-mêmes avez su transmettre
au cinéma.
Jean-Claude Brisseau : John
Ford, je l'aimais bien quand j'avais dix ou douze ans alors
que je ne savais même pas qu'il s'appelait John Ford
! Il y a un sentiment tragique de la vie que j'aime beaucoup
chez lui, venant probablement de la nostalgie d'un monde
définitivement perdu et d'un amour perdu aussi. Il
y a souvent dans ces films, un héros amoureux d'une
femme depuis plus de vingt ans et qu'elle ait vieillie ou
non ne change rien. Cet amour est fidèle. La solitude
et le déracinement sont aussi au cur de Ford,
qui tente de retrouver le pays ou la mère originelle
dans le désert, symbole de la souffrance qu'elle
soit amoureuse ou philosophique.
Objectif Cinéma : Je
retrouve dans vos films ce sentiment de mélancolie
et de perte qu'incarnent vos personnages au milieu d'un
paysage. Le paysage est à l'unisson des états
d'âmes et il devient charnel et métaphysique.
Je pense notamment à Céline mais aussi
à Les Savates du bon Dieu.
Jean-Claude Brisseau :
John Ford utilise ces paysages de façon quasi mystique.
A la limite du mystique et de la poésie et cela m'a
guidé durant toute ma vie.
Objectif Cinéma :
La représentation du désir
féminin est aussi un enjeu dans tous vos films, avec
parfois des effets de miroirs d'un film à l'autre.
Notamment dans L'Ange Noir où Paul fait un
rêve érotique. Il y a un travelling avant sur
le corps de la femme et c'est exactement la même position
dans Céline avec le mouvement de la main de
l'homme, toujours dans un fantasme aussi dans De Bruit
et de Fureur Et chaque femme a sa couleur : blanc et
bleu pour la fée / sorcière De Bruit et
de Fureur, l'or pour Céline, le rouge
pour Sylvie Vartan l'ange noir.
Jean-Claude Brisseau : Je
dois dire que c'est fait exprès dans la mesure où
j'aime travailler sur des motifs. Pour mon premier film,
Un jeu brutal, je voulais que la couleur soit celle
de l'herbe jaunie par le soleil en septembre. Il s'agissait
de dire qu'après toutes les brûlures de la
passion qui sont en partie terminées, il ne reste
plus que cette herbe brûlé et jaune. J'ai obtenu
un film bleu, ce qui ne m'a pas beaucoup plu. N'exagérons
pas, car il y cette couleur dans une séquence mais
bon, je n'ai pas réussi totalement mon projet de
couleur. Pour aller dans ce sens du féminin que vous
remarquez, je me souviens que l'on m'avait demandé
pour Noce Blanche avec la jeune Vanessa Paradis,
si je n'avais pas pu écrire l'inverse, à savoir
filmer l'histoire d'une femme de quarante ans environ, tombant
amoureuse d'un jeune homme. Or je voulais que l'homme (Bruno
Cremer) , qui a peur de cette toute jeune fille, lorsqu'il
regarde soit saisi par cette vision, qu'il la reçoive
comme un cadeau de Noël. Je travaille toujours ces
scènes très minutieusement, car je dois moi
aussi recevoir cette jeune femme comme un cadeau, raison
pour laquelle je contrôle la lumière pour observer
et étudier son corps, ses mouvements afin de savoir
comment je vais la filmer et cela je ne peux pas le faire
pour un homme ! (rires)
Objectif Cinéma : Il
me semble que vous recherchez dans tous vos films à
représenter ce féminin et j'aimerai savoir
si vous avez envie de réaliser un film entièrement
pris dans ce désir de représentation, d'aller
au delà du miroir, je pense notamment à cette
scène surréaliste dans Céline
où Tchéky Karyo a une vision érotique
dans le bureau de l'avocat.
Jean-Claude Brisseau : C'est
ce que je veux faire depuis cinq ans et à chaque
fois je ne peux pas. Le projet est toujours refusé
ou du moins reporté, car tout le monde a la trouille.