Objectif Cinéma :
Qui a peur ?
Jean-Claude Brisseau : Je
ne sais pas. J'ai raté quelque chose. Tout le monde
me l'a dit ,et ça je ne m'en rendais pas compte,
que j'avais eu une chance extraordinaire, une ascension
fulgurante dans les années 89/90, que je pouvais
tout me permettre dans le cinéma. Or j'ai déçu
les attentes de tout le monde en faisant un "petit
film" Céline, déconcertant certains
qui pensaient que j'allais dans une certaine voix balisée
du cinéma. Honnêtement, j'aurai aimé
faire des "gros" films importants de tant en tant,
et encore ça dépend desquels, mais surtout
continuer l'expérimental, faire des tous petits films,
explorer une voix du cinéma, comme avec Céline.
A la même époque, j'avais aussi un projet de
film La chose Secrète, une version féminine
De bruit et de fureur. J'avais obtenu le fond de
soutien et je voulais le payer moi-même. Je produis
toujours mes films et pour l'anecdote, quinze jours avant
le début du tournage de L'Ange Noir, Alain
Sarde le producteur m'annonce qu'il n'a plus assez d'argent
pour mon film. En fait, il préférait que ce
soit moi qui mette l'argent, c'est tout. Tout comme Les
Savates du Bon Dieu où les producteurs n'ont
quasiment pas mis un centime. Je dois dire que ça
m'emmerdait assez, car j'aurais bien aimé cet argent-là
et financer seul La Chose secrète.
Objectif Cinéma :
Qu'en est-il maintenant du film
?
Jean-Claude Brisseau : Le
film doit pouvoir se monter actuellement et ce sera filmer
l'érotisme.
LA MATIERE MEME DU FILM
Objectif Cinéma : Il
me semble que cet érotique est le fil rouge de votre
filmographie tout comme la richesse des genres, qui très
souvent, se mélangent au sein même d'un film,
en cela qu'il peut convoquer différents mondes hétérogènes.
Votre dernier film Les Savates du Bon Dieu ne cesse
de bifurquer ; le burlesque côtoie le film noir lui-même
sédimenté par la morale politique, et bien
sur l'histoire d'amour quasi libertaire des amants en fuite.
J'ai pensé au film de Fritz Lang You only live
once avec Henry Fonda et Sylvia Sidney.
Jean-Claude Brisseau : Ce
sont les problèmes de construction d'un film qui
me passionnent le plus. Premièrement, j'essaye de
rompre les schémas attendus, de faire des films autrement
sans que le grand public s'en aperçoive. Deuxièmement,
je travaille la matière même du film, de manière
quasi invisible pour les spectateurs, à la limite
de la philosophie. Et dernièrement, mélanger
des éléments soit surréalistes ou fantastiques
avec presque systématiquement des éléments
érotiques et je m'aperçois que très
souvent, la plupart des gens ne remarquent pas les thèmes
fondamentaux de mes films. Ça me laisse assez perplexe.
Par exemple, presque tout le monde voit De Bruit et de
Fureur comme un film social réaliste, ce que
je refuse absolument.
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Objectif Cinéma :
J'ai vu votre film à l'adolescence
et j'avais été frappée par sa veine
sensible et je n'avais pas tout compris. Le revoyant dernièrement,
j'ai été saisie par sa dimension d'abstraction
assez étonnante dans le cinéma français.
Votre film est beaucoup plus désincarné que
les autres, il est mental. Il propose un sous monde, une
sous lecture, en deçà de ce que le scénario
semble montrer, comme si vous vouliez faire ressentir au
spectateur quelque chose de secret, d'invisible, et non
pas simplement une image sociale de la misère ou
de la violence en banlieue. L'enfant du film pourrait le
frère de Céline, à la fois là
et déjà ailleurs.
Jean-Claude Brisseau :
Ce n'est pas un film sur la banlieue, cela n'a rien avoir
avec La Haine ! Un des sujets de la plupart de mes
films est le contact avec la réalité. C'est
ce qui me plaisait bien chez Jean-Luc Godard, car la réalité
n'est jamais là. Il y a un jeu entre les deux.