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Objectif Cinéma : Ce qui me surprend est le renversement des valeurs, car dans ce film l'élément fanta-stique se situe dans le réel social du garçon alors que les scènes oniriques semblent plus vraies. Un doute s'instaure.

Jean-Claude Brisseau : Le film a été perçu comme réaliste dans la majorité du public. Dans la critique, seulement une fraction des Cahiers du Cinéma avait compris, c'était un moment de rupture, une nouvelle génération arrivait remplaçant les anciens et elle a perçu le film comme social avec des éléments oniriques ratés à la Duvivier. Alors que les anciens, absolument pas ! Ils avaient compris mon film et cela remonte à 1988 quand même. Le renversement de valeurs que vous notez est ce qui me passionne le plus, car c'est lié à un travail de recherche que j'essaye de faire quasiment dans tous mes films : arriver à métamorphoser des éléments d'ordre contraire, en leur donnant une dimension d'étrangeté et d'onirisme. C'est le centre d'intérêt de mes films, bouleverser les sens. Et ce qui me trouble est que le film a eu un succès, ce que je ne regrette absolument pas, car j'ai eu un coup de bol formidable à ce moment-là, qui repose sur un malentendu : les gens ont vu et aimé un film que je n'ai pas fait !


CELINE

Jean-Claude Brisseau (c) Stéphane Legrand

Objectif Cinéma : Que s'est-il passé selon vous ?

Jean-Claude Brisseau : Je ne sais vraiment pas ! Je me suis dit que les gens ne voient pas les films ! Mais moi aussi je me suis sûrement trompé quelque part, même si je suis assez fier pour me donner raison (rire gamin du cinéaste). C'est un mystère. Pour le film en question, je voulais une métamorphose de l'environnement social et dans Céline il s'agissait d'une légère métamorphose. Je m'explique : Céline raconte l'attitude de chacun de nous devant les petites misères, une manière de dire la souffrance, la maladie, la mort. Si les gens ont cette interrogation d'une transcendance, d'un Dieu et qu'il n'en existe pas, alors toutes ces souffrances et cette vie en douleur sont vraiment insupportables. Je me suis toujours demandé d'où s'originait cet espoir considérable d'un au delà, est-ce une fiction ou une réalité absolue ? Céline est aussi un film sur ce qu'est la vie, avec cette acceptation de soi, des autres ce qui me semble le plus difficile dans la vie, car accepter l'autre c'est s'accepter et s'aimer, pas nécessairement au sens narcissique. De fait mon cinéma repose sur une contagion ; ou du moins d'essayer de jouer avec des phénomènes de contagion de sens, tout comme dans la peinture impressionniste. Vous "foutez" une tache bleue et une tache jaune à côté. Vous reculez et vous avez l'impression que c'est vert. Et bien, je me suis dis que je ferai la même chose avec le cinéma. Et parfois d'ailleurs je me suis planté comme dans Céline. Je vous donne un exemple si vous avez bien le film en tête. (NDRL : heureusement pour moi, j'avais revu ce film la veille, j'opine de la tête soulagée). A l'origine, la séquence du pique-nique avait lieu bien après, car je voulais avoir un effet de métamorphose et de contagion d'éléments fantastiques sur du quotidien ; mais cela ne fonctionnait pas ! A partir du moment où on rentrait là-dedans, c'est pas la peine, on ne pouvait plus et j'étais obligé de la déplacer. Et malgré tout, ce qui m'intéressait ; c'était de voir comment des éléments, disons fantastiques pour employer un mot qui n'est pas le mot exact, pouvaient, par ce système de contagion de sens, avoir une répercussion sur la vie quotidienne. Je ne sais pas si je suis clair ? J'ai fais la même chose dans De Bruit et de Fureur et j'ai essayé dans mon dernier film Les Savates du Bon Dieu, avec les paysages. Ce qui est assez chiant, c'est qu'on n'est jamais sur du résultat. Un autre exemple, toujours dans Céline. Les gens viennent chez elle pour se faire guérir, ils s'en vont et Lisa (docteur et amie de Céline) regardent derrière la fenêtre leur départ, elle se retourne : il n'y a personne, ensuite elle voit sa copine dans la porte. J'aurais souhaité que les gens se demandent si la copine est vraiment là ou si c'est une apparition. Et je ne suis jamais sûr du résultat. Car en fait, qu'est-ce que je filme d'extraordinaire ? Une porte vide avec une nénette. Et ce ne sont pas ces plans-là qui vous donnent ce sens particulier, mais ce qui précède. Il aura fallu toutes les séquences précédées avec Isabelle Pasco (Céline) dont on ne sait jamais si elle est là ou pas, qui apparaît et disparaît. Du même coup, dès lors que vous avez cela et que vous le savez, la métamorphose peut avoir lieu sur des moments du quotidien. Et ce n'est pas le hasard. Cela demande un travail de construction en amont ; mais il faut dire qu'au moment de filmer ces scènes, c'est chiant à faire ! Ce type de séquences n'est pas excitant du tout car, il n'y a pas un travail considérable sur le jeu des comédiens ou sur des corps à filmer.