Objectif Cinéma :
Etant donné la place qu'occupe l'animé japonaise
au sein de la production cinématographique mondiale,
comment ressentez-vous et que pensez-vous de la distinction
entre cinéma d'auteur et cinéma commercial ?
Isao Takahata : Effectivement,
pour ma part je travaille depuis mes débuts dans un
cadre commercial, bien que ma culture ne soit pas celle-ci.
D'une part, j'ai toujours été très impressionné
par le cinéma en prise réelle, et, d'autre part,
mon admiration en terme d'animation s'est d'emblée
portée vers des artistes comme Youri Norstein ou Paul
Grimaud, qui a joué un très grand rôle
dans ma vocation.
Ceci dit, la distinction entre cinéma
d'auteur et commercial n'a pas forcément lieu d'être.
si on resitue les choses, on peut dire qu'elle trouve son
origine à la fin des années 50, le début
des années 60, dans des courants très forts
tels que la Nouvelle Vague en France ou la caméra stylo
ou, aux Etats-Unis, dans des mouvements d'opposition à
Disney qui marquent la naissance de la notion de cinéma
d'auteur et, dans son sillage, d'un nouveau type de production.
Aujourd'hui, le clivage s'estompe. il suffit
de voir la vitalité du Festival dAnnecy, d'année
en année. La production présentée actuellement
pourrait être en majeur partie qualifiée de commerciale
sans que ce soit au détriment d'un travail dit d'auteur.
Objectif Cinéma : A
l'époque, le grand studio concurrent de Disney est
celui de la Toei au Japon. Or, vous quittez la Toei en 1968 :
pour quelles raisons ? Et comment en arrivez-vous à
créer le studio Ghibli avec Miyazaki ?
Isao Takahata : Lorsque
en 1968, je décide de quitter la Toei, j'ai déjà
une longue histoire derrière moi, à savoir
une dizaine de longs métrages dans le giron du studio.
Mon choix est alors principalement motivé par l'évolution
des productions maison. En effet, c'est l'époque
où la Toei se retranche sur le marché télévisuel ;
je reste alors un certain temps à travailler sur
des séries télévisées, mais
déjà je ne me vois plus d'avenir au sein du
studio. Avec Hayao Miyazaki nous partons, et travaillons
dès lors pendant plusieurs années sur des
séries télévisées au retentissement
mondial. La première d'entre elles est Heidi (Alps
no Shojo Heidi, 1973). C'est une période marquée
par un labeur colossal et mené sans relâche :
il nous fallait produire un épisode de 22 minutes
et 30 secondes par semaine et 52 épisodes par an.
De fait, nous enchaînions les saisons et les séries
à tour de bras. Puis, au début des années
80, Miyazaki publie une bande dessinée originale,
Nausicaä de la vallée du vent. Il décide
de la porter à l'écran et m'appelle pour travailler
sur l'adaptation. C'est dans ces conditions que naît
Ghibli.
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Objectif Cinéma :
Quelles différences voyez-vous
entre votre travail et celui de Miyazaki ?
Isao Takahata : En
premier lieu, Miyazaki est influencé par la littérature
anglaise pour enfants, ce quon appelle les fantasy. Et c'est
là, la différence essentielle car, de ce fait,
il élabore un monde indépendant et coupé
du nôtre qui s'avère être un monde clos
et fini : un véritable microcosme. Tout cela,
en visant un réalisme formel assez aigu. Pour ma
part, je mets en place un monde non fermé, qui s'inscrit
dans la continuité du nôtre. Un monde où
l'on peut entrer et duquel on peut sortir, aussi.
Mais, je voudrais ajouter une chose concernant
Miyazaki : à mes yeux, c'est un génie.
Miyazaki possède un vrai génie créatif,
alors que ce n'est pas du tout le cas pour moi. Je n'ai
pas du tout ce genre d'instinct. Je dirais que mon travail
est plus intuitif.