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Shunji Iwai (c) D.R. SHUNJI IWAI
Tokyo est un hopital

Entretien réalisé
à Tokyo en novembre 2001
Par Stephen SARRAZIN
Traduction Abi SAKAMOTO



Shunji Iwai, 39 ans, compte parmi les nouveaux réalisateurs Japonais apparus au cours des années 90. Ses films sont présentés dans les festivals (son dernier Lily Chou Chou était à Toronto et New York notamment), on entend souvent parler de lui, et pourtant, aucune sortie en salles à l'étranger, pas de prise de risque par les distributeurs. C'est qu'Iwai n'a guère été ménagé à ses débuts par la critique japonaise qui encensait Kurosawa, Aoyama, Suwa, etc. Iwai etait trop " pop culture ", trop esthétique, trop tendance " shojo manga " (comics pour filles). Son film Love Letter fut un des grands succès domestiques des années 90, et on lui reprocha cette réussite. Iwai signait en 96 une fresque multiculturelle, Swallowtail Butterfly, qui fit à son tour le plein d'entrées, sans gagner l'estime des critiques locaux.

Cependant, à l'étranger, en France, en Angleterre, en Allemagne, Iwai comptait de nombreux admirateurs qui poursuivent cet acharnement à introduire son œuvre sur le territoire europeen (Je ne ratais jamais une occasion pour dire du bien de ses films dans HK.).

  Battle Royale (c) D.R.

Son nouveau film pourrait rencontrer un public en Europe : il dresse le portrait de la génération actuelle des lycéens. Pas de violence jouissive chez Iwai; si les crétins qu'on croise dans Battle Royale de Kinji Fukasaku se trouvaient sur le chemin des ados d'Iwai, ils tendraient sur le champ leur argent de poche, la tête baissée... En ce moment, Lily Chou Chou fait salle comble, comme le faisait Battle Royale. Mais pour Fukasaku, c'etait Toei qui produisait, et qui distribuait. Les chiffres ne sont pas les mêmes : Iwai est un véritable cinéaste indépendant.

Il n'y a pas, ou il n'y a pas plus de cultes chez les jeunes Japonais. Pas de culte Ring, pas de culte Battle Royale, parce qu'ils n'ont plus la concentration, la volonté, l'envie et l'effort de participer à quelque chose qui nécessite une discipline. Tout est tourné vers l'individu : les jeunes Japonais se tournent vers eux-mêmes, non dans un processus de découverte, mais pour être simplement en mesure de dire " non ". Un " non " adressé en premier lieu à la vie de salaryman. A ce jour, outre les sectes politiques telles que la Sokka Gakai, le dernier culte nippon demeure AUM, sur lequel deux cinéastes, deux vétérans, Kei Kumai et Teruo Ishii, ont fait des films qui ne firent pratiquement pas d'entrées... La violence de Lily Chou Chou résonne au Japon car le public reconnaît les personnages, mais ne connaît pas les acteurs. Battle Royale s'oubliait rapidement, c'était comme un feuilleton télé de deux heures; le public allait retrouver tous les " talentos " du film dès le retour a la maison, dans les pubs, les séries télé, les game shows... Aucune menace, pas de surprises. Kourei de Kurosawa, et surtout Desert Moon de Shinji Aoyama, engendrèrent un ennui similaire.

Shunji Iwai (c) D.R.

Shunji Iwai, celui à qui l'on reprochait d'être au cœur du système talento, de trop s'appuyer sur le système " idole ", a signé l'un des plus beaux films du Japon en 2001, l'un des plus courageux. À la fin de l'entretien, je disais à Iwai que son absence sur les écrans étrangers m'en rappelait une autre, celle d'un autre grand réalisateur, Masato Harada (Kamikaze Taxi, Bounce Kogals, Jubaku). Tous ces films à dimension socio-contemporaine furent tournés avec le grand Koji Yakusho, qu'il vient de retrouver pour le tournage du Choix d'Hercule, un film sur l'Armée Rouge au Japon au début des années 70. (News à suivre, je serai sur le tournage). Iwai sourit en répondant que Harada l'avait appelé après avoir vu Lily, pour le féliciter.



Objectif Cinéma : Après Shigatsu Monogatori (April Story), vous aviez plusieurs projets en cours : une série de trois films, Y2K, avec Stanley Kwan et Edward Yang; une histoire de Stalker, et celle qui est devenue Lily Chou Chou. Que s'est-il passé avec ces autres projets, notamment Y2K ?

Shunji Iwai : En fait, j'avais deux ou trois idées de scénario pour ce projet, dont celle de mon nouveau film Lily Chou Chou. Au départ, c'était une co-production entre le Japon, Hong Kong et Taiwan. À la fin, seul Stanley Kwan a réalisé le sien, Stone Islands. Y2K, c'était au départ une volonté de montrer l'an 2000 et après, du point de vue de l'Asie. Les idées que j'avais auraient coûté trop cher. Je tenais par contre à faire Lily. Ce fut plus long que prévu.