Objectif Cinéma : On
sait que Lily Chou Chou était tout d'abord
un roman que vous écriviez sur votre site web. Ce
roman est devenu interactif, vous donniez la possibilité
à vos lecteurs de participer à l'écriture.
Ont-ils modifié l'histoire de manière importante,
ont-ils créé de nouveaux personnages?
Shunji Iwai : Tout
d'abord, j'avais un scénario, l'histoire de la chanteuse
Lily. Mais faute de pouvoir commencer le film, j'ai entrepris
cette version roman sur mon site web, auquel les lecteurs
étaient conviés, et invités à
poster des messages, remarques, commentaires et questions.
Ce qui comptait le plus pour moi, c'était de donner
une vie, une existence à cette chanteuse, de façon
à ce qu'elle puisse déjà exister dans
la tête des gens avant la sortie du film. Toutes les
interventions m'ont fait réfléchir, mais n'ont
pas vraiment modifié le cours du récit, ni
introduit de nouveaux personnages. Les lecteurs sont surtout
intervenus dans le cadre de l'épisode du meurtre
qui a lieu à la fin du concert de Lily. Par la suite,
le roman fut publié chez un éditeur.
Objectif Cinéma : Lily
Chou Chou me semble être
une fresque, comme l'était Swallowtail Butterfly
: il peint, sur 2 heures 30 minutes, le portrait d'ensemble
d'une communauté précise. C'etait important
de revenir à ce format après le côté
intimiste de Shigatsu ?
Shunji Iwai : Non,
c'était simplement une nécessité de
durée, j'avais beaucoup plus de choses à raconter
cette fois que dans April Story qui s'arrêtait
sur une jeune fille de province qui choisit une fac en fonction
d'un garçon dont elle est amoureuse et qu'elle cherche
à retrouver. C'était plus simple, un personnage
principal. Dans Lily, on en a 4, ils ont une existence
plus compliquée que l'étudiante d'April
Story. Le récit met plus de temps...
Objectif Cinéma :
Swallowtail et Lily
me semblent être les deux faces d'une même pièce ;
Swallowtail etait lumineux, optimiste, tandis que
Lily est sombre, pessimiste. Votre regard sur la
société japonaise a-t-il changé ces
dernières années?
Shunji Iwai : Dans
Swallowtail Butterfly, ce que j'ai voulu montrer
avant tout, c'est une énergie, une passion, que nous
n'avons pas au Japon mais qu'on peut rencontrer dans d'autres
pays d'Asie. L'idée de vivre plus simplement aussi.
Et comme vous dites, ce film va vers la lumière.
Lily Chou-Chou traite des lycéens Japonais,
d'emblée c'est un univers déjà plus
négatif. Mais malgré la fin tragique, j'ai
voulu introduire cette possibilité de choix. On peut
vivre autrement que ne le fait le jeune héros Yuichi ;
par exemple le personnage de Yoko, la jeune pianiste propose
une alternative, une force de caractère. Le propos
du film n'est pas de discuter de ces choix, mais de les
représenter.
Objectif Cinéma :
Encore une fois, dans ces deux films,
deux scènes semblent très proches, avec la
même actrice : dans Swallowtail, Ayumi Ito
joue Ageha qui se fait tatouer un papillon sur sa poitrine,
dans un lieu caché, underground, et dans Lily,
Yoko se fait violer, dans un autre endroit discret. Existe-t-il
un lien entre ces scènes ?
Shunji Iwai : Pas
vraiment, enfin, je n'avais pas envisagé un tel rapprochement.
Pour le role de Yoko, dans Lily, mon choix s'est
finalement porté sur Ayumi Ito, qui était
dans Swallowtail. Le point commun tient peut-être
à la difficulté de ces scènes pour
la même actrice. Dans Swallowtail, elle était
encore jeune, demie-nue pour le tatouage. Et dans Lily,
il y a la scène de viol : on ne voit rien, pas de
corps nus, mais suite à son agression, elle doit
se raser la tête. L'actrice a accepté de le
faire. Je vois la coïncidence dont vous parlez, mais
mes films vont dans une même direction depuis que
j'ai tourné Picnic. Pour moi, Tokyo est comme
un hôpital et dans Swallowtail je voulais montrer
comment on pouvait en sortir. Dans Lily, c'est plutôt
la vie à l'intérieur de cet hôpital,
la vie des patients. Mais même à l'intérieur
d'un hôpital, on sait que les enfants se construisent
un monde, un univers, pour échapper à la peur
qu'ils ont de cet endroit, pour échapper à
l'enfermement, la solitude. On le voit de facon plus clinique,
chez les jeunes adultes, dans mes films Picnic, ou
Love Letter.