Objectif Cinéma : J'étais
frappé par les cadrages dans Lily, par leur
logique thématique. Les plans d'ensemble sont souvent
ceux dans lesquels on retrouve une figure isolée,
dans les champs, ou un couple dans le train avec un objectif
wide angle, tandis que pour les close-ups, vous remplissez
le cadre. Par exemple, à Iriomote, vous rendiez vraiment
étouffante cette île de " paradis ".
Votre storyboard allait-il dans cette direction ? Votre
chef opérateur a-t-il apprecié l'expérience
de la vidéo numérique ?
Shunji Iwai : Mon
chef opérateur Shinoda et moi travaillons plutôt
à l'instinct, donc j'aurais un peu de mal à
vous répondre. Évidemment, il y a des valeurs
de plans auxquelles je suis attaché de film en film,
comme le plan d'ensemble avec une figure isolée.
Mais ce n'est pas systématique. Pour le tournage
vidéo de cette île d'Okinawa, le côté
amateur est dû aux comédiens, je leur avais
donné une petite caméra vidéo numérique,
comme si c'était de vraies vacances et ce sont eux
qui ont tourné ces images que j'utilise pour cette
partie du film. Nous avons tourné Lily avec
la même caméra numérique utilisée
par George Lucas pour Phantom Menace. Nous n'avons
pas eu vraiment le temps d'exploiter toutes les possibilités
de cette caméra, mais nous avons énormément
apprécié sa souplesse, la définition
de l'image, le côté libérateur de la
vidéo que je retrouvais, ayant fait pas mal de clips
et de télé dans le passé. Nous avons
cependant été très attentif au transfert,
et en post production, à l'étalonnage, nous
avons dû veiller sur le rouge.
Objectif Cinéma : J'ai
toujours pensé que vous arriviez à entendre
la musique dans la tête de vos personnages, à
créer une dimension sonore propre à vos personnages
principaux. Est-ce le cas ? Comment se déroule la
collaboration avec le compositeur Takashi Kobayashi ?
Shunji Iwai : J'avais
travaillé avec lui sur Swallowtail, il avait
alors écrit des chansons pour l'interprète
principale, la chanteuse Chara (épouse de Tadanobu
Asano). Cette fois, il s'agissait de créer une chanteuse,
de la rendre crédible. On se demandait si les personnages
allaient toujours écouter, tout au long du film,
les chansons de Lily. Puis nous avons décidé
d'avoir un contrepoint musical, Debussy, que j'aime beaucoup.
Kobayashi est lui-même membre d'un groupe a succès
au Japon, Every Little Thing, ainsi qu'auteur-compositeur
et producteur. La musique m'aide à concevoir le film,
à créer l'histoire. Je n'ai pas un thème
musical à l'esprit pour chaque personnage, mais à
travers la musique, j'enchaîne les événements
du récit.
Objectif Cinéma : Vous
étiez toujours le monteur de vos films. On vous sait
très proche de vos films. Est-ce difficile de couper
pour vous ?
Shunji Iwai : Ce
l'était au début de ma carrière, mais
plus aujourd'hui ; le montage est une étape
que j'apprécie en particulier. Ceci dit, je fais
partie de l'école de ceux qui veulent être
familiers avec toutes les étapes du processus cinématographique,
connaître le son, les objectifs, le montage, etc.
Discuter avec les opérateurs afin de mieux comprendre,
d'amener plus de choses aux films. Il ne s'agit pas de nier
les postes techniques, au contraire, mais j'aime être
un peu partout. Quant au montage, cela rejoint la question
du rythme du récit dont nous parlions. Pour Lily,
j'ai passé quatre mois à travailler le montage.
J'ai dû arrêter pour des questions de planning,
mais j'aurais volontiers continué à couper.
Je me dis d'ailleurs que pour la version dvd, ce ne sera
pas ce qu'on attend, du genre 3:30, mais probablement une
version plus courte, plus serrée.