Objectif Cinéma
: Il n'y a jamais de problèmes
de langue ou de culture qui biaisent la communication ?
Gilles Ciment
: Hou Hsiao-hsien ne parle pas l'anglais et nous devons
passer en permanence par des interprètes. Heureusement,
il a depuis peu une assistante francophone. Mais ce n'est
pas une communication directe. Les traductions perdent toujours
en subtilité et tuent la spontanéité
artistique.
Avec Wong Kar-wai, il n'y a aucune barrière. Il communique
beaucoup et très bien. Il parle anglais parfaitement,
ce qui brise toutes les barrières de langue. Il s'explique
surtout toujours sur les ambiguïtés culturelles.
Il a une très grande connaissance de la culture occidentale,
citant Bataille ou Brillat Savarin ! Lorsqu'il y a malentendu,
il le perçoit et nous donne les clés. Il a
une connaissance de notre culture de très loin bien
meilleure que nous de la sienne. Il se trouve que par ailleurs
j'apprécie l'art chinois, ce qui alimente nos conversations.
Nous parlons aussi de cinéma ancien ou récent,
de design, de graphisme et même de bande dessinée
ou de cinéma d'animation... Si bien qu'il a voulu
que je conduise la " Leçon de cinéma
" qu'il a donnée à Cannes cette année
: il était en confiance, nous faisions presque un
numéro bien rôdé
Objectif Cinéma :
Qu'il s'agisse de votre grande
complicité avec WKW ou de votre difficile communication
avec HHH, est-ce que ça ne restreint pas votre part
d'intervention dans leur travail ?
Gilles Ciment :
Quoi qu'il en soit, on se doit de rester très humble
face à des artistes de cette envergure, qui en plus
sont aussi leurs propres producteurs. Paradis Films apporte
un financement et surtout une connaissance du marché
occidental. Eric Heumann a derrière lui une longue
carrière de producteur, mais il est également
réalisateur : les échanges entre Wong Kar-wai
et lui sont aussi des conversations entre artistes, de créateur
à créateur, ce qui introduit une autre dimension.
Objectif Cinéma
: Comment gère-t-on
le succès d'un film en parallèle de la préparation
d'un autre ?
Gilles Ciment
: C'est un métier, d'autant plus accaparant que nous
nous sommes diversifiés (production, distribution,
édition vidéo). Le succès de In the
Mood for Love était à gérer en même
temps que la mise en chantier de Millennium Mambo, mais
aussi parallèlement aux conceptions et sorties des
bandes originales, du DVD... Choses plus accaparantes car
moins classiques et surtout inattendues. Le DVD du chef-d'uvre
de Wong Kar-wai a été entièrement conçu
ici, durant cinq mois de travail acharné avec mon
complice Antoine Odin. La construction de l'arborescence,
les graphismes, les textes, le choix du contenu sont autant
de tâches que nous tenons à effectuer nous-mêmes.
Je ne comprends pas les producteurs qui laissent l'édition
DVD à quelqu'un d'autre. Pour moi, ne pas accompagner
un projet jusqu'au bout n'est même pas concevable.
Mais cela veut également dire, en effet, que vous
êtes déjà attelé à la
production d'un autre film
Mais après tout
attend-on qu'un enfant ait quitté la cellule familiale
pour en faire un autre ?
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