ALAIN
GUIRAUDIE Cinéaste de la
communauté des hommes
Entretien
réalisé
à Paris le 28 novembre 2001
Par Nadia MEFLAH
Photos de Julien OBERLANDER
Déclarer tout de go " Alain
Guiraudie, chantre de la communauté des hommes "
n'en fait en rien un énième cinéaste
crispé sur une certaine tendance gay pseudo moderniste
à la sauce parisienne. Excluons d'emblée tout
quiproquo et amalgame communautariste sexuelle. Il s'agit
plus tendrement du monde du partage, où la communauté
commence avec deux personnes qui parlent, rêvent et
travaillent parfois. Soyons attentifs à ce souffle
singulier, à ce corps en présence, à
cette langue magistrale qui nous vient du sud de la France
et nous rappeler deux ou trois choses du cinéma en
seulement deux films (l'année dernière, son
premier moyen-métrage Du soleil pour les gueux) :
entendre et respirer le monde sensible des hommes en cinéma,
en toute conscience. Charnel et métaphysique. Un monde
à la fois évident, dans une immédiateté
physique du plan impressionnante de maîtrise formelle
(le grand angle, la profondeur de champ, où chaque
élément vibre) et abstrait, car pris dans un
ballet subtil où les corps mouvants font se décoller
littéralement toute la poésie rebelle, utopique
et amoureuse de chacun. La politique du corps, terme générique
de la modernité du cinéma, prend dès
lors toute son ampleur avec Guiraudie ; où chaque
geste est réinvesti de sa puissance érotique
dans le temps, mais aussi la latence du prochain déplacement,
de la prochaine parole de ce corps-là, de cet ouvrier
sans travail mais à l'usine, mais sans les machines.
Car cet érotique (comment ne pas songer à Renoir
cinéaste engagé de cur et d'esprit dans
ce mouvement de vie pour la vie en cinéma) est inséparable
d'une conscience de classe.
Rappelons-nous du film La Sortie
des usines Lumières des frères Lumière
en 1895, dans le quartier lyonnais de Mont Plaisir, où
justement c'était plaisir de se laisser filmer par
cet appareil étrange et moderne. La caméra
restait dehors, inscrivant le cinéma dans le mythe
de la vacance, hors les murs de l'usine, cette machine à
rêves (le cinéma devient du travail et aussi
une économie puissante) ainsi signifiée dès
l'aube du cinématographe. Les temps ont changé,
la joie des premiers ouvriers et ouvrières filmés
en France a laissé place au silence de l'ouvrier
métallurgiste entrant à l'usine en l'an 2000.
Il semble que de nos jours, il soit impudique de parler
ainsi, la lutte des classes n'existe plus, le chômage
est ingéré dans les 35 heures et ma foi le
monde ouvrier, c'est du folklore réservé aux
pays en " voie de développement ".
Oui mais . Ce vieux rêve qui bouge, l'air
de rien (et quelle force que cette apparente légèreté)
avec les moyens fantastiques du cinéma (rendre
présent l'absence, Manoel de Oliveira nous le démontre
chaque année lorsqu'il fait vibrer l'inanimé,
un mort, une statue, un feuillage, un livre, des mots, la
femme aimée) raconte l'histoire de notre temps. Celui
de la fuite du travail et donc de la désespérance
du corps laissé pour compte, comme un chien affamé
d'amour. Oui, l'utopie du travail existe et cela passe par
l'être ensemble, comme l'écrit Emmanuel
Lévinas. L'étant, cet autre, mon prochain
qui fait que je suis au monde. Que je sois femme, jeune
adolescent, salarié, cadre, ouvrier, hétéro
ou pas, toi, moi ou lui.
C'est avec toute cette en-vie de cinéma
que nous sommes allés discuter avec Alain Guiraudie.
Sa voix sonne belle à nos oreilles parisiennes, en-chantées
et nous glanons des traces de vies laborieuses, épiques
et cocasses où l'on savoure son art de narrer les récits
avec une finesse rayonnante.
" Nous sommes
tous dans un métier où l'on ne fait rien tout
seul. Chaque pas dans ce métier est une collaboration
avec quelqu'un " d'après les Ecrits
de Jean Renoir (1926.1971) p. 295, éd. Ramsay Poche
Cinéma
Objectif Cinéma : D'où
viens-tu Alain ? (Je serais très naïve dans
mes questions car nous voulons tout savoir de toi !!!)
Alain Guiraudie : D'accord,
je te suis !
Objectif Cinéma : Je
sais que tu viens de l'Aveyron mais pas ton âge.
Alain Guiraudie :J'ai
37 ans, je suis né en 1964 à Villefranche-sur-rouergue.
Objectif Cinéma : Tu
es de quel signe ?
Alain Guiraudie : Cancer
ascendant Lion. Je peux même te dire le nom de la
clinique où je suis né à Villefranche-sur-Rouergue :
St Alain.
Objectif Cinéma :D'où ton prénom ?
Alain Guiraudie :Non,
avec Alain je ne m'en sors pas trop mal car j'ai connu les
prénoms auxquels j'avais échappé !!!
Et au bout de huit jours je suis allé vivre chez
mes parents. Je suis l'aîné de ma famille,
on vivait dans une petite ferme, et parallèlement
au travail qu'il y avait, mon père bossait à
l'usine du coin. Ils étaient dans une agriculture
vivrière, autonomes à cent pour cent ;
on tue le cochon chaque année, on mange la volaille
et les légumes du jardin. On achète juste
le sel.