Objectif Cinéma :
Et le poisson ?
Alain Guiraudie : Ah
non ! On ne mangeait pas souvent de poisson ou de viande
rouge. C'était vraiment une petite exploitation des
années 60, de la moyenne montagne. Cela ne suffisait
plus de vendre le lait de la vache et les ufs, alors
mon père est parti travailler à l'usine à
côté, et ce n'était pas le seul parmi
les paysans. C'était l'aciérie de Cazeville,
une enclave très industrielle dans un monde rural,
et il y avait plus de 100 000 personnes dans ce bassin.
Maintenant on y compte environ 20 000 personnes, tu jongles
entre les chômeurs, les érémistes et
les retraités. L'aciérie ne fonctionne plus
avec toutes les vagues de licenciement qu'il y a eu. Avant,
c'était un bassin houiller avec la mine et le charbon,
ensuite d'autres industries sont venues s'installer et on
se croyait vraiment au siècle dernier, au temps de
la révolution industrielle de 1850 ! Imagine la bonne
industrie lourde : zinc, sidérurgie, fonderie,
aciérie, tout cela au sein d'un petit village ! Je
suis né là-dedans. J'allais à l'école
du village, puis au collège du village d'à
côté et le lycée était à
Rodez, une ville que je n'aime pas trop
PIF, DIEU ET LA SERIE B (LE BAC
EN POCHE)
Objectif Cinéma : Comment
est-tu venu au cinéma ?
Alain Guiraudie : Mon
rapport à l'image vient plus de la télé
que du cinéma. Des séries, que je trouve fondamentalement
très cinéma-tographiques, comme Les Envahisseurs,
Les Incorruptibles, La Quatrième Dimension
et les westerns. Je suis resté aussi à un
cinéma assez primaire qui m'a marqué, celui
de Costa Gavras, d'Yves Boisset où les méchants
étaient les fascistes. Quant au milieu de tout ça,
j'ai vu pour la première fois le film de Glauber
Rocha Le dieu noir et le diable blond (1964) je n'ai
pas tout compris mais il y avait des images fortes, ça
parlait de la misère avec un ton très lyrique,
qui allait au-delà de la simple dénonciation
pour retrouver le mythe. Je ne me posais pas les questions
de catégories, je ne faisais aucune différence
entre les films de Ford, d'Hathaway ou de Léone.
Ce qui se racontait, ainsi que les paysages grandioses,
me plaisait.
Objectif Cinéma : On
les retrouve dans ton cinéma, je pense notamment
aux cieux splendides de ton film Du soleil pour les gueux
mais aussi aux mélanges des genres, du burlesque,
à l'aventure digne d'un western.
Alain Guiraudie : C'est
l'exemple type de cinéma que j'aime faire. Comment
on fait pour se démerder à essayer de retrouver
des rêves d'enfant, tout en se préoccupant
de la vie actuelle ?
Objectif Cinéma : Revenons
au Lycée de Rodez.
Alain Guiraudie : J'ai
ramé et pas mal. J'ai redoublé ma première
et ma terminale.
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Objectif Cinéma :
Tu as passé ton Bac à
20 ans donc ?
Alain Guiraudie : Eh
non ! Je l'ai eu à 19 ans, car j'avais un an
d'avance en rentrant en seconde au lycée, et au bout
du compte, seulement un an de retard le Bac en poche !
J'aimais bien cette période. On a monté un
journal, on s'occupait d'une coopérative, je commençais
à militer à l'extrême gauche, j'étais
même très anticommuniste à l'époque,
grosso modo de 1978 à 1984, entre Giscard et Mitterrand.
Je faisais partie des gens assez méfiants de ce dernier,
et pas très content qu'il devienne président
en 1981. Je n'ai jamais voté pour lui, et à
juste titre. C'est pendant cette période que j'ai
appris le militantisme. Tout ce qui touchait à la
coopérative m'intéressait. On pouvait passer
des après-midi à jouer au baby-foot, jusqu'à
l'heure du ciné-club où on se prenait la tête
à discuter sur le dernier Godard Week-end, auquel
je n'avais rien compris !! Ça me passait complètement
au-dessus de la tête, mais j'aimais bien, car cela
provoquait de longues discussions. Pour trois francs, on
pouvait voir ces films, on adorait gérer nous-mêmes
ce ciné-club, on faisait les cons mais c'était
une époque dynamique, on ne travaillait pas bien
nos devoirs tout en faisant pas mal de choses. Je préférais
lire que faire mes devoirs. Dostoïevski ou Brecht ont
été alors essentiels pour moi, mais je lisais
plus souvent des bouquins comme L'Herbe Bleue, Flash
Gordon, Bradbury, Aldous Huxley, des comics. Ma mère
était une grosse lectrice, elle lisait beaucoup de
livres de la collection Harlequin, des Guy des Cars ;
j'en lisais certains mais ce n'était pas ma tasse
de thé. J'avais beaucoup plus envie de relire Dostoïevski !
Je suis proche aussi de l'existentialisme, j'en reviens
toujours à Sartre, Le diable et le bon dieu, Les
mains sales. J'adorais vraiment ce que faisait cet homme.