Objectif Cinéma : As-tu
vécu des surprises de cinéma avec cette économie
de moyens ?
Alain Guiraudie : Ah
oui ! C'est un art du compromis, et il s'agit de savoir
tirer parti des contraintes. Je suis très content
de mes deux films, car je pense avoir bien su, justement,
tirer parti de ses fameuses restrictions monétaires.
Je regrette une seule chose, un principe tout bête :
ne pas avoir eu assez de fric pour pouvoir payer l'équipe
sur Du soleil pour les gueux, ni moi-même d'ailleurs.
Tout travail mérite salaire, c'est une logique à
laquelle j'essaye de tenir. Je tiens à rester fidèle
à ça : il y a un tarif syndical, et ce
n'est pas fait pour les chiens. Cette logique de faire des
films bénévolement a ses limites.
Objectif Cinéma : Dans
le générique, on apprend que le montage a
été fait par une certaine Golanda Ramos et
dans la presse, c'est le cinéaste Philippe Ramos
(L'Arche de Noé 1999) qui est désigné.
Alain Guiraudie : (rire
en cascade espiègle d'Alain Guiraudie). C'est effectivement
Philippe qui a fait le montage. Golanda est un nom du sud-ouest,
une allusion à mon précédent film,
Du soleil pour les gueux.
Objectif Cinéma :
Comment s'est déroulée
cette collaboration ?
Alain Guiraudie : Faire
le montage tout seul me semblait trop difficile, et c'est
bien d'avoir une autre personne, avec qui travailler. Pour
mon premier court, je voulais tout faire, j'avais beaucoup
de mal à déléguer. Aujourd'hui, de
plus en plus, j'essaye au maximum d'intégrer l'autre,
et avec Philippe c'était très fructueux. On
a eu des débats fondamentalement cinématographiques
lors du montage du film. Philippe a déstructuré
un peu la logique du plan A suivi du plan B suivi du plan
C et ainsi de suite. Ça m'a un peu déstabilisé
au début, mais à partir de là, on a
pu commencer à construire et optimiser tout ce travail.
De même, pour ce long-métrage que je prépare,
j'ai commencé à écrire avec Frédéric
Videau (Le fils de Jean-Claude Videau en salles depuis novembre
2001) et je n'avais jamais fait cela. On s'était
rencontré avant qu'il ne fasse son film, j'avais
lu un exemple de co-écriture de scénario qu'il
avait fait, et je trouvais que l'on avait pas mal de choses
en commun. En outre, il arrive à bien clarifier son
propos, alors que je suis plutôt d'une tendance assez
déstructurée. C'est assez douloureux cette
dictature du scénario lisible, mais il faut jouer
le jeu car c'est sur le scénario que tu peux obtenir
des financements. Il faut avoir une lecture fluide et agréable.
Le projet passe en commission plénière le
20 décembre. C'est bien car ça laisse le temps
aux gens qui ne connaissent pas mon cinéma de voir
le film en salles, et de se faire ainsi une idée.
En plus, avec toute cette bonne presse, je ne pouvais pas
mieux tomber question date ! Ce que je sais, c'est
que le cinéma est une expérience humaine collective.
Et une affaire de diplomatie. L'apprentissage premier du
cinéma fut cela pour moi : comment travailler avec
l'autre.
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Objectif Cinéma :
Une histoire de lien
Alain Guiraudie : Oui,
comment intégrer l'autre, et comment lui même
s'y retrouve aussi.
Objectif Cinéma : Une
question de cinéphile : as-tu un ou plusieurs cinéastes
que tu aimes ?
Alain Guiraudie : J'aime
beaucoup Nanni Moretti, mais j'ai loupé son dernier
film La Chambre du fils. Je l'ai découvert
avec La messe est finie (qui reste pour moi son chef
d'uvre). J'adore son style (" Je vous
donne des nouvelles du monde en ne parlant que de moi ")
! Il y a aussi dans les cinéastes préférés,
le Kiarostami de l'époque de Close-up ou de
Où est la maison de mon ami, Atom Egoyan pour
Exotica et De beaux lendemains : plus
j'y pense, plus je trouve ce film sublime. Tout David Lynch.
Et F.J Ossang, un cinéaste rare assez peu connu,
un petit-bourgeois du Cantal qui a fait Le trésor
des îles chiennes et mon préféré
Docteur Chance avec Joe Strummer des Clash.
C'est dur de voir ses films car en plus, ils sont mal distribués
par Films sans Frontières. Sais-tu d'ailleurs qu'on
ne peut plus voir les films de Paradjanov : ils bloquent
tout ! Sinon, je viens de voir Martha
Martha
de Sandrine Veysset qui m'a énormément plu.
Objectif Cinéma :
Vis-tu de ton cinéma ?
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Alain Guiraudie : Depuis
janvier 2001, car je suis payé pour la préparation
de mon long-métrage. Je n'ai pas gagné ma
vie avec les films que j'ai réalisés. Mais
j'ai encore du fric à récupérer sur
le dernier. Du soleil pour des gueux, ce fut vraiment
de la débrouille. Jusqu'en l'an 2000, j'avais un
boulot, j'étais salarié, de veilleur de nuit
à organisateur de défilé de mode pour
Issey Miyaké, en passant par de l'assistanat auprès
d'un directeur technique. J'ai bossé sur des films
comme régisseur. Mais à un moment donné,
c'est complètement absurde, car tu consacres l'essentiel
de ton temps à essayer de gagner du fric, et ça
ne te nourrit pas pour le temps que tu consacres à
ton travail de création. Ce qui te nourrit est une
part infime de ton boulot : ça commençait
à devenir pénible. Intermittent du spectacle,
je connais ! Ou bien tu renvoies tous les mois ta fiche
aux Assedic, ou bien tu dis " non, ce mois-ci
je n'ai pas travaillé ! ", alors
que tu n'arrêtes pas de bosser ! Il y a un problème
sur cette logique-là, mais en même temps, c'est
un statut à défendre.
Objectif Cinéma : Que
se passe-t-il maintenant pour toi ? J'ai lu que tu
avais un peu peur de cette reconnaissance médiatique
et cinématographique.
Alain Guiraudie : Je
me dis " bon, ça va, c'est bien, c'est
super agréable ", mais il y a des moments
où je me demande s'ils n'en font pas un peu trop
Faire un long-métrage, c'est une autre paire de manches,
et il faut savoir sortir de la simple satisfaction personnelle.
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2001 Ce vieux
rêve qui bouge (MM)
2000
Du soleil pour les gueux (CM)
1997
La Force des choses (CM)
1994
Tout droit jusqu'au matin (CM)
1990
Les Héros sont immortels (CM)
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