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DU SOLEIL POUR LES GUEUX, CE VIEUX REVE QUI BOUGE

Du soleil pour les gueux (c) D.R.

Objectif Cinéma : Ne crois-tu pas que la politique économique actuelle du cinéma broie cette rencontre possible ? Notam-ment avec la surenchère des sorties hebdomadaires de films, dont seules émergent les plus grosses productions, ou encore le rôle ambigu tenu par les multiplexes, qui gonflent les entrées salles (le CNC ne manque pas de s'en féliciter) tout en purgeant l'hétérogénéité et la richesse du cinéma ?

Alain Guiraudie : C'est un discours que j'ai tenu pendant très longtemps. Le cinéma n'échappe pas à la logique économique actuelle. Il existe un public qui veut voir des films différents, et ce ne sont d'ailleurs pas uniquement des cinéphiles. J'ai montré mon film Du soleil pour les gueux dans un bled avec 150 paysans et ça s'est super bien passé. Pareil pour Ce Vieux rêve qui bouge, projeté à des anciens ouvriers cégétistes de l'usine dans laquelle on a tourné. Le nerf de la guerre est d'être présent là où sont les gens. On rame pour arriver à toucher cette population qui va dans les multiplexes situés juste à côté des centres commerciaux. Même mon frère n'irait pas spontanément voir mon film, alors que c'est vraiment un ouvrier pas trop con, qui s'intéresse à beaucoup de choses ! Je vais voir des grosses merdes américaines aussi et ça me plaît parfois. Mais mon but n'est pas d'intégrer les UGC ou les Gaumont en plein centre commerciaux, à la périphérie avec parkings gigantesques. Mon but est d'avoir beaucoup de monde dans des salles de centre ville, comme le Saint André des Arts à Paris, le Ciné 104 à Pantin ou l'ABC à Toulouse, où toutes les couches sociales de la population viendraient. La logique multiplexe ne me plaît pas du tout. En province, c'est terrible, car le parcours du samedi est quadrillé : tu fais tes courses avec bobonne, tu peux voir le film en bouffant ton hamburger placé juste à côté d'Auchan ou Carrefour, et tu te retrouves encerclé dans une zone à fric. On sort le prolo loin de la ville.


Objectif Cinéma : Ton film a une reçu une très bonne couverture presse : première page du journal Le Monde, Libération, bel article de L'humanité, les revues de cinéma soutiennent ton film ainsi que les magazines culturels.

Alain Guiraudie : C'est vrai, mais cela ne ramène pas beaucoup de spectateurs dans les salles ! Je dois dire aussi que je n'ai pas le fantasme du grand public. Je n'ai pas eu énormément de pression pour la sortie de mes deux moyens-métrages, il n'y a pas eu un fric fou ni de distribution lourde. En fait c'est le distributeur () qui subit le plus de pression ! Le film a été tiré à 18 copies et je suis actuellement très demandé. J'y crois, et vraiment, si cela dépasse le cap des 30 000 entrées, je serais content.

  La sociologie est un sport de combat (c) D.R.

Objectif Cinéma : Pierre Carles, avec son documentaire sur et avec Pierre Bourdieu, La sociologie est un sport de combat a totalisé plus de 100 000 entrées alors qu'il n'y avait pas dix copies film ! Le film ne passait que dans une salle à Paris, au Saint-André des Arts justement. Peux-tu nous détailler la production de tes deux moyens-métrages ?

Alain Guiraudie : Du soleil pour les gueux est un film très fauché, il a coûté au maximum près de 300 000 francs après salaire de l'équipe. Cela veut simplement dire que j'ai fait le tournage avec 50 000 francs en poche, pas plus. L'équipe a été payée à posteriori, avec la prime à la qualité du CNC. Ce vieux rêve qui bouge doit tourner aux environ de 450 000 balles, et l'équipe aussi sera payée après. J'ai mis plus de fric personnel sur mon premier moyen-métrage que sur le dernier.


Objectif Cinéma : As-tu le projet de faire un long-métrage ?

Alain Guiraudie : Je prépare mon premier long-métrage avec Paulo Films et il faut savoir que c'est par défaut que je n'ai fait à présent que des moyens-métrages. J'ai écrit mon premier film, il y a plus de dix ans, je me traîne d'ailleurs un paquet de long-métrages écrits depuis bien longtemps…. À un moment, je n'arrivais plus à monter mes longs-métrages, et j'ai donc adapté mon écriture à l'économie à laquelle je pouvais prétendre. Du soleil pour les gueux, je l'ai écrit comme ça, en sachant bien que je ne toucherais pas le pactole dans cette économie-là. Peu de comédiens, un décor dépouillé au maximum, et allez, on y va !