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Mahmoud Ben Mahmoud (c) D.R. MAHMOUD BEN MAHMOUD
A propos de son film
Les Siestes Grenadines
Entretien réalisé
Par Nadia MEFLAH et Cécile GIRAUD


Mahmoud Ben Mahmoud est né en Tunisie, mais il vit à Bruxelles. En 1998, il tourne Les Siestes Grenadine dans son pays natal. Le film est sorti récemment en France. On y retrouve un regard d'observateur qu'il a mis précédemment en pratique dans une série de films documentaires, un plaisir de filmer les corps, de les regarder se mouvoir, dans un ballet de couleurs et de lumière propres à la Tunisie. C'est en regardant son pays natal de loin, depuis la Belgique, qu'il a construit son scénario, prenant un recul objectif, laissant de côté les passions, pour ensuite l'imprégner directement de l'atmosphère tunisienne. Nous découvrons lors de notre entretien un homme grand, mince et droit, mais qui se révèle bientôt comme un être passionné, parlant avec fougue et sans restriction de la cause qu'il défend, et se positionne loin des idées reçues que nous, européens, recevons habituellement par rapport à ce pays.


  Les Siestes grenadines (c) D.R.
Objectif Cinéma : Quelle est le point de départ des Siestes Grenadine ?

Mahmoud Ben Mahmoud : Il vient d'une envie de confronter la société tunisienne à son Sud, et non pas aux civilisations du Nord, comme on a trop souvent tendance et l'habitude de le faire. J'avais une forte envie de regarder la société tunisienne avec les yeux de quelqu'un qui viendrait du sud du Sahara, sachant que ce pays, avec l'ensemble du monde arabe, a un contentieux très fort, occulté mais réel, avec les pays du sud du Sahara, avec la négritude. Les tunisiens ne se considèrent pas comme des africains, tout au plus comme des arabes de méditerranéen, dont le destin est d'avantage lié à la rive nord de la méditerranéen qu'au continent auquel ils appartiennent. Beaucoup de gens pensent que, n'eut été la dérive des continents, la frontière naturelle de l'Afrique aurait été le Sahara lui-même, qu'au-dessus il y aurait eu la mer, et que l'Afrique du nord, l'Afrique arabe, romaine, byzantine, italienne, aurait dû d'avantage faire partie du sud de l'Europe que de l'Afrique elle-même. C'est de cette contradiction qu'est née l'envie de faire ce film, sachant que cette appartenance n'est pas vécue de façon très sereine et très positive.

L'idée était d'organiser le retour d'un père et de sa fille, la fille ayant elle-même une appartenance à Afrique et à l'Europe. Comment ce couple, qui revient d'un long séjour apparenté à un exil, va vivre le retour, quel regard va t-il porter sur la société qui l'accueille, comment cette société se détermine par rapport à des gens qui rentrent d'un ailleurs qui n'est pas codé - au niveau de la conscience collective - mais dont les repères sont dans un inconscient, dans des vieux réflexes, voire des vieux démons. La confrontation se fait à plusieurs niveaux, par rapport à l'héritage magrébo-africain plein de malentendus et de blessures… Et aussi regarder le pays d'aujourd'hui dans les yeux d'un tunisien qui revient d'une longue absence, et qui va découvrir les changements intervenus pendant son absence, par les yeux d'une jeune fille qui découvre son pays présumé, qui ne le connaît qu'au travers des descriptions fantasmées ou idéalisées de son père.


Les Siestes grenadines (c) D.R.

Objectif Cinéma : Votre film est donc engagé politiquement. Nous voudrions savoir pourquoi votre film ne sort en France que deux ans après son tournage, et si vous avez rencontré des problèmes en Tunisie à sa sortie.

Mahmoud Ben Mahmoud : Non, aucun. Je ne pourrais pas vous dire pourquoi. Mais je dois reconnaître que cette question turlupine beaucoup de mes interlocuteurs et de mes spectateurs, aux Etats-Unis, au Canada, en Afrique Noire… Je n'ai subi aucune censure. Il y a même eu des débats libres à Tunis lors de sa sortie.

Mon film n'a pas participé à de grands festivals en France, il n'était pas à Cannes par exemple, sauf à Cannes junior. Il y a d'autres problèmes : la présence tunisienne sur les écrans français a été assez " orientée " jusqu'ici, j'ai remarqué que ce film dérangeait beaucoup de gens, parce qu'il ne se situait pas dans une certaine ligne de conduite et de pensée, par rapport à ce qu'on représente de la Tunisie : il n'entre pas dans des causes sympathiques de la lutte des femmes, ou d'espaces folkloriques diffusés par le cinéma tunisien.