Objectif Cinéma : Quelle
est le point de départ des Siestes Grenadine ?
Mahmoud Ben Mahmoud : Il
vient d'une envie de confronter la société tunisienne
à son Sud, et non pas aux civilisations du Nord, comme
on a trop souvent tendance et l'habitude de le faire. J'avais
une forte envie de regarder la société tunisienne
avec les yeux de quelqu'un qui viendrait du sud du Sahara,
sachant que ce pays, avec l'ensemble du monde arabe, a un
contentieux très fort, occulté mais réel,
avec les pays du sud du Sahara, avec la négritude.
Les tunisiens ne se considèrent pas comme des africains,
tout au plus comme des arabes de méditerranéen,
dont le destin est d'avantage lié à la rive
nord de la méditerranéen qu'au continent auquel
ils appartiennent. Beaucoup de gens pensent que, n'eut été
la dérive des continents, la frontière naturelle
de l'Afrique aurait été le Sahara lui-même,
qu'au-dessus il y aurait eu la mer, et que l'Afrique du nord,
l'Afrique arabe, romaine, byzantine, italienne, aurait dû
d'avantage faire partie du sud de l'Europe que de l'Afrique
elle-même. C'est de cette contradiction qu'est née
l'envie de faire ce film, sachant que cette appartenance n'est
pas vécue de façon très sereine et très
positive.
L'idée était d'organiser le
retour d'un père et de sa fille, la fille ayant elle-même
une appartenance à Afrique et à l'Europe. Comment
ce couple, qui revient d'un long séjour apparenté
à un exil, va vivre le retour, quel regard va t-il
porter sur la société qui l'accueille, comment
cette société se détermine par rapport
à des gens qui rentrent d'un ailleurs qui n'est pas
codé - au niveau de la conscience collective - mais
dont les repères sont dans un inconscient, dans des
vieux réflexes, voire des vieux démons. La confrontation
se fait à plusieurs niveaux, par rapport à l'héritage
magrébo-africain plein de malentendus et de blessures
Et aussi regarder le pays d'aujourd'hui dans les yeux d'un
tunisien qui revient d'une longue absence, et qui va découvrir
les changements intervenus pendant son absence, par les yeux
d'une jeune fille qui découvre son pays présumé,
qui ne le connaît qu'au travers des descriptions fantasmées
ou idéalisées de son père.
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Objectif Cinéma :
Votre film est donc engagé
politiquement. Nous voudrions savoir pourquoi votre film
ne sort en France que deux ans après son tournage,
et si vous avez rencontré des problèmes en
Tunisie à sa sortie.
Mahmoud Ben Mahmoud : Non,
aucun. Je ne pourrais pas vous dire pourquoi. Mais je dois
reconnaître que cette question turlupine beaucoup de
mes interlocuteurs et de mes spectateurs, aux Etats-Unis,
au Canada, en Afrique Noire
Je n'ai subi aucune censure.
Il y a même eu des débats libres à Tunis
lors de sa sortie.
Mon film n'a pas participé à
de grands festivals en France, il n'était pas à
Cannes par exemple, sauf à Cannes junior. Il y a
d'autres problèmes : la présence tunisienne
sur les écrans français a été
assez " orientée " jusqu'ici,
j'ai remarqué que ce film dérangeait beaucoup
de gens, parce qu'il ne se situait pas dans une certaine
ligne de conduite et de pensée, par rapport à
ce qu'on représente de la Tunisie : il n'entre
pas dans des causes sympathiques de la lutte des femmes,
ou d'espaces folkloriques diffusés par le cinéma
tunisien.