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Les Siestes grenadines (c) D.R.
Objectif Cinéma : Mais Wahid est aussi un père qui se veut tout puissant par rapport à sa fille, il l'a d'ailleurs enlevée. Vous effleurez le sujet sans prendre position à ce niveau-là, à travers la relation mère française / père tunisien / fille qui se revendique africaine : avez-vous voulu parler des relations entre ces différents pays et cultures ?

Mahmoud Ben Mahmoud : On a trop tendance à mettre aux prises une mère européenne et un père travailleur immigré, dans la représentation un peu caricaturale d'un homme qui réagit à partir de vieux réflexes, sans avoir réfléchi à la question, sans avoir eu la possibilité de la transcender par la réflexion, et qui reproduit de vieilles traditions. J'ai voulu dire que cette question habite l'ensemble des gens du Sud, et que le devenir identitaire des enfants dans la mixité n'est pas résolu, même chez les gens qui ont les moyens intellectuels de la résoudre. Le personnage du père est abordé dans ses contradictions, dans son déchirement. J'ai voulu l'humaniser. Il a quand même entouré sa fille de tendresse, sacrifié dix ans de sa vie en exil… C'est un acte d'amour autant qu'un acte d'égoïsme ; certes c'est fait au détriment de la mère, mais il est capable de moments de nostalgie vis-à-vis d'elle. C'est un père tout court. Le problème de divorce se complique d'une triple appartenance vis-à-vis de sa fille qui complique sa vie alors qu'il pensait la rendre plus simple.

Objectif Cinéma : Ces trois identités se retrouvent dans le corps même de la fille. Elle le dit : " Je suis une négresse blanche ". L'appropriation de l'identité passe par l'art. Le film prend une dimension assez surprenante en sortant des sentiers battus, pour aller vers la caméra qui enregistre des mouvements, vers un côté documentaire, notamment avec le personnage énigmatique du réalisateur. On pourrait résumer l'art comme acte politique…

Mahmoud Ben Mahmoud : Pour moi, c'était très important que le pluralisme soit pris en charge par un corps plus que par une tête. On est dans une civilisation, en dépit de l'exception tunisienne, qui ne permet pas au corps de s'épanouir. C'est l'influence de l'Afrique noire et de l'Occident qui ont permis à ces pays de se libérer, de sortir des carcans traditionnels dans lesquels les corps étaient enfermés. C'était très important pour moi de ce point de vue là. Sur le plan politique, la métaphore du pluralisme n'était possible que prise dans le discours culturel. S'il y a un message, il prône la possibilité de faire coexister des différences dans une société dominée par la pensée unique. La fille dit à son père : ce pays est possible pour moi s'il m'accepte avec mes autres héritages, surtout le plus suspect, l'héritage africain.


  Mahmoud Ben Mahmoud (c) D.R.

Objectif Cinéma : La fille vient en effet habiter totalement l'espace et l'espace sonore par le biais de la danse, de la musique. Pour vous, en quoi la danse africaine était-elle le meilleur représentant de cette idée ?

Mahmoud Ben Mahmoud : Il y a eu un calcul de ma part. Il fallait que le film soit construit comme une mosaïque pour que l'on comprenne les différents messages. Je devais rechercher une simplification pour désigner la dimension africaine. Le public tunisien auquel s'adresse ce film en priorité est dans un tel mépris pour l'Afrique noire, qu'il eut été aventureux de lui proposer un discours plus complexe sur l'Afrique. Ils connaissent le foot et la musique, qui nous viennent des canaux européens. La consommation courante de la musique africaine vient par le câble, le dvd, le cd… Il fallait que mon héroïne s'identifie à cet axe-là et qu'elle l'incarne, avec ceci d'essentiel : qu'elle retrouve dans la musique noire de Tunisie des traces de cette fraternité profonde que l'on pouvait avoir avec l'Afrique noire autrefois (ils amenaient une culture, une langue, une musique…) On les reconnaissait comme minorité. L'aboutissement de Soufia est de contribuer à la résurrection de ce qui pouvait subsister de cette culture, même occultée.


Objectif Cinéma : La danse et la musique sont viscérales, attachés à la terre, elles représentent d'autant plus les vieux démons qui vont en sortir.

Mahmoud Ben Mahmoud : La musique a un rôle d'exorcisme, de transe, par rapport à tous ces nœuds, ces non-dits par lesquels on désigne le racisme au Maghreb, qui ne s'énonce pas comme dans les pays où il y a une démocratie. Quand il y a une démocratie, il y a toujours un moyen de le dire. Dans des pays où rien ne se dit, on ne sait pas quel est l'état des choses et des consciences. Des gens m'ont dit, notamment dans le monde arabe : comment pouvez-vous montrer votre pays sous un jour raciste ? Montrer qu'une fille qui se revendique de la culture d'Afrique noire n'est pas la bienvenue ? Je leur ai répondu : que voulez-vous faire, à partir de là, on ne pourra parler d'aucun problème ! Officiellement, la Tunisie est un pays qui n'a aucun problème. Alors, choisir celui-là peut paraître totalement injuste, fantasmé. Comme les gens n'ont pas l'habitude d'être montrés dans leurs vieux démons, ils peuvent jurer de ne pas être raciste. Evidemment, il n'y a plus d'immigrations en Tunisie, le peuple noir a disparu, il n'y a pas d'épreuves. Les peuples se révèlent dans leurs blocages, de leurs préjugés, quand il y a une épreuve. J'ai dit à l'un d'eux : je prends acte de ce que vous dîtes, mais si demain votre fille se présente avec un noir ? Et là, une rumeur a enflé dans la salle… Quand un problème se pose, c'est au niveau d'une famille. Officiellement, ce pays n'a aucun problème, puisque cela n'est révélé par aucun média.

J'étais sur la corde raide en faisant ce film. Il n'y a aucun fantasme, aucune vue de l'esprit. Il n'y a pas d'urgence nationale concernant le racisme, puisqu'il n'y a pas de mise à l'épreuve, mais les problèmes des médias ou de la jeunesse déracinée sont bien présents. Depuis, on ne me regarde pas de la même façon. J'ai beaucoup moins de garanties en ce qui concerne mon prochain film.



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2001
Les Mille et une voix (doc)
1999 Les Siestes grenadine
1998 Ennejma Ezzahraa (doc)
1996 Albert Samama-Chikli (doc)
1996 Anastasia de Bizerte (doc)
1992 Italiani dell' altra riva (doc)
1992 Poussière de diamant
1982 Traversées