Entretien
réalisé
en septembre 1998
Par Laurent CHARTIN
Arthur Joffé (Harem, Alberto express) batailla
assez longtemps avant de pouvoir tourner son film Que la
lumière soit, un conte humoristique mettant en scène
les gesticulations d'un Dieu producteur, qui choisit sur Terre
une cinéaste, Jeanne Archambault (Hélène
de Fougerolles), pour mettre en scène un film qu'il a
écrit pour soulager les peines de l'Humanité.
Après de nombreuses péripéties, il sera
enfin tourné, puis projeté dans l'église
Notre-Dame de Paris.
Que la lumière soit sortit
le 8 juillet 1998, en pleine finale de la Coupe du monde de
football, distribué par Ciby 2000, la société
de Bouygues alors à l'aube de sa fermeture. Autant
dire un sacrifice, pour ce film de 60 millions de francs,
tourné entre la France et les Etats-Unis. Plusieurs
semaines après la sortie, le cinéaste revient
sur les dysfonctionnements de la distribution de son film.
Objectif Cinéma :Nous
allons nous attacher aux problèmes de distribution
du film. J'ai lu dans la presse que le film devait sortir
en décembre 1997 à Noël. En avril 1998,
le film est prévu pour le 8 Juillet 1998 en pleine
coupe du monde Tu fais ce que font peu de réalisateurs,
tu essaies de changer la date de sortie que tu estimes " suicidaire "
Arthur Joffé : Quand
on s'investit dans un film, qu'on le défend contre
vents et marées pendant plusieurs années,
je pense que c'est normal de se battre jusqu'au bout.
Mon film est autant un film d'auteur que pour tous publics.
On ne sait pas comment le prendre, c'est un film qui une
candeur suffisante pour être vu par des adolescents
et en même temps, c'est une parabole, avec plusieurs
niveaux de lecture.
Je n'ai pas voulu rester silencieux. J'ai fait à
Cannes une projection " off croisette ".
Je me suis agité comme une sorte de Don Quichotte
pendant plusieurs mois pour essayer de changer cette date.
Mais un arrangement multilatéral a été
décidé en haut lieu entre Ciby 2000, TF1 qui
veut racheter le catalogue Ciby 2000, et tous les intervenants
financiers de mon film, pour le sortir dans des dates parfaitement
exécutoires. Ciby 2000 était en vente depuis
déjà plus d'un an. Il fallait sans doute que
le catalogue Ciby 2000 coûte le moins cher possible
C'est donc une vraie sortie technique, mais dans le cas
de mon film qui parle d'une vraie aventure de cinéma,
d'une parabole sur la création artistique, sur la
difficulté de défendre son uvre et de
la faire exister, c'est un symbole énorme.
Tout cela n'a servi à rien car le film est quand
même sorti le 8 juillet. Leur grand argument était
de parier sur l'élimination de la France dans la
Coupe du Monde ! Jean Jacques Zilbermann du Max Linder
voulait projeter le film pendant tout l'été,
mais le distributeur n'a pas voulu. Il a préféré
garder le circuit de salles prévu initialement.
N'étant qu'auteur et metteur en scène, et
non producteur du film, je n'avais pas de responsabilité
juridique de m'y opposer. Par contre, j'ai fait entendre
la voix consultative que j'avais, en envoyant des lettres
au Ministère de la Culture, au distributeur, aux
agents, aux chaînes co-productrices pour alerter sur
la mise à mort du film. Personne ne m'a répondu,
c'était donc " Chronique d'une mort annoncée ".
Sur les 130 films français qui sortent chaque année,
beaucoup n'ont pas de chance, sortent à des mauvaises
dates. Il n'y a que 52 semaines possibles, et ils ont choisi
la pire date depuis 50 ans et la dernière coupe du
monde en France.
Toute proportion gardée, c'est quand même l'histoire
d'un crash extrêmement spectaculaire et exemplaire,
dont on cherche les raisons. J'émets plusieurs hypothèses,
car on ne m'a pas tout dit. On n'a pas fait toute la lumière
sur Que la lumière soit ! Les films qui n'ont
pas marché en salles coûtent moins cher en
rachat de catalogues, même si ce sont les mêmes
qui rachètent. Quant à Ciby 2000, ils ont
fait une carrière prestigieuse avec beaucoup de cinéastes
étrangers, lauréats à Cannes. Une mise
à mort symbolique de cette société
transparaissait à travers mon film. Je ne suis pas
sûr de cela, mais en France, on a tendance à
étouffer facilement les scandales, puis petit à
petit, la vérité ressort, mais cela met parfois
beaucoup de temps, et pour certaine vérités,
ça met 50 ans !
Le film a eu des critiques bonnes et mauvaises, il était
tout à fait potentialisable, mais il en a été
décidé autrement en amont.