Objectif Cinéma : Après
deux courts-métrages, Nadir en 1989, tourné
en vidéo, et Les Dernières Heures du millénaire
en 1990, vous êtes passés très tôt,
à 24 ans, au long-métrage avec Bar des rails
en 1991. Il apparaît que, dans votre parcours, le montage
a joué un rôle essentiel, puisque vous avez commencé
comme assistant monteur de Yann Dédet (Sous le soleil
de Satan).
Cédric Kahn : Le
montage pour moi a été très formateur.
J'ai fait mon premier film à 24 ans et c'est parce
que j'ai passé pas mal de temps dans une salle de
montage, que j'ai pu tenir les rênes du film, résister
à l'équipe technique, imposer ma façon
de voir les choses. Le montage c'est vraiment la synthèse
de tous les éléments du cinéma. C'est
là où on finit les films. On se rend compte
de ce qu'on peut ou ne peut pas faire, et on peut faire
beaucoup plus de choses que ce qu'on nous dit qu'on peut
faire. On se rend compte de toutes les possibilités
qu'offre le cinéma au montage. On croit qu'une scène
est forte à tel endroit et l'intérêt
se déplace : ce qui n'était pas drôle
devient drôle
C'est comme de l'argile, une matière
qu'on peut travailler. C'est une matière souple,
pas figée. Ce que j'ai appris d'essentiel et qui
me sert toujours dans mon travail, c'est cette souplesse
du matériau qu'est le cinéma. Quelque chose
en perpétuelle évolution, maturation.
Objectif Cinéma : Ce
qui m'a frappé en premier lieu dans vos films, c'est
justement la force, voire la brutalité, du montage.
Cédric Kahn : Je
suis adepte du montage qui ne se voit pas. J'aime bien quand
on ne voit plus rien. Je n'aime pas les effets.
Objectif Cinéma :
Vous privilégiez les ellipses,
les ruptures dans la construction de vos films.
Cédric Kahn : Oui
par exemple Trop de bonheur, dans lequel il y a une
véritable gageure de montage, c'est un film tout
en vrais raccords. Pendant la séquence de la fête,
qui dure 40 minutes à l'image (et qui est censée
représenter une fête qui a duré sept
ou huit heures), il n'y a pas une ellipse, c'est tout en
continuité. Mais c'est une fausse continuité
puisque c'est un temps de 40 minutes qui représente
un temps de plusieurs heures. Chaque plan glisse de l'un
à l'autre. Il n'y a ni ruptures, ni ellipses. Et
c'était une difficulté de montage bien supérieure
au fait de faire des ellipses.
Objectif Cinéma : Dés
vos débuts dans le cinéma, le montage vous
a-t-il passionné ?
Cédric Kahn : Autant
je me suis senti immédiatement mal dans la peau d'un
stagiaire assistant sur un plateau, - d'ailleurs le plateau
continue à ne pas être l'endroit que je préfère,
même si j'ai connu des tournages agréables
- autant je me suis senti immédiatement bien dans
une salle de montage.
Objectif Cinéma :
Le montage vous a peut-être
d'emblée paru le processus qui constitue le cur
du langage cinématographique ?
Cédric Kahn : J'adore
le montage, mais en même temps, j'y crois de moins
en moins. Je pense que le film se joue avant : au scénario,
et au moment du choix des comédiens. Le cinéma,
c'est l'art de la distribution. Quelle personne ajuste t-on
à quel rôle ? On ne peut pas sauver les
films au montage, on peut les abîmer, mais on ne peut
pas leur donner leur intérêt.