Objectif Cinéma : On
peut lui donner son rythme ?
Cédric Kahn : Oui,
une forme, un rythme, on peut l'améliorer, en tirer
le maximum, le meilleur, on peut enlever des défauts,
mais je ne sais pas si on peut lui ajouter des qualités.
Objectif Cinéma :
Il me semble que vous êtes
un obsédé du rythme.
Cédric Kahn : C'est
vrai que lorsque j'ai fait mon premier montage, j'étais
" a-rhytmique ", j'étais obsédé
par ça. Je me disais ça en sortant des rushes,
de chaque projection de chaque projection de montage. En
fait, j'avais confondu le temps de la vie avec le temps
du cinéma. De toute façon, j'ai appris à
faire des films en faisant des films, ce qui est un luxe
extraordinaire. Car on dit qu'il y a un temps pour apprendre
et un temps pour faire. Alors oui, le rythme est important
dans un film mais de toute façon, tout y est important :
il ne faut rien négliger. C'est pour cela que c'est
un travail fatigant. C'est une attention de tous les instants,
comme on surveille le lait sur le feu. À tout moment,
un film peut se détériorer, se dégrader.
Si je n'étais pas réalisateur, je pense que
je serais monteur. Peut-être que je le reviendrais ?
Objectif Cinéma :
De toute façon, vous êtes
un réalisateur très présent au montage,
ce qui n'est pas le cas de tous les réalisateurs.
Cédric Kahn : Oui,
mais avec l'assentiment du monteur. Il y a aussi des monteurs
qui ne supportent pas d'avoir le réalisateur dans
la salle car cela les ralentit. Le monteur (Yann Dédet)
me supporte bien parce que je connais le montage. C'est
vraiment deux connivences. On se pose les mêmes problèmes.
Ce n'est pas le monteur qui essaie de résoudre les
problèmes et le réalisateur qui cherche à
faire des choses impossibles.
Objectif Cinéma :
Quand vous dites que vous êtes
adepte d '" un montage qui ne se voit pas ",
c'est là une belle définition du style. En
littérature, Flaubert aimait cette conception.
Cédric Kahn : C'est
assez facile de faire des effets. Par contre, il est délicat
de faire en sorte que le montage se tienne parfaitement,
soutienne la tension et le propos d'un film. Il n'est pas
facile de trouver le temps exact de chaque plan et d'arriver
à un agencement de plans tel qu'on ne se pose plus
de questions. Que tout cela tienne en équilibre,
comme une maison. Au fond, je suis de plus en plus classique.
J'ai moins envie de faire des effets de modernité.
Objectif Cinéma :
Abordons plus précisément
vos films. Et d'abord le premier Bar des rails en
1991 que vous avez réalisé très jeune,
à 24 ans. Comment, dans quel état d'esprit
vous avez abordé ce premier film ? Quel point
de vue avez-vous adopté ? Bref, comment " vous
y êtes allé " ?
Cédric Kahn : Aucun
point de vue. J'y suis allé. Je ne peux pas dire
autre chose. J'ai écrit ce scénario et je
l'ai tourné sans me poser aucune question. D'ailleurs
je me suis pris les choses bien et les choses moins bien
de front. Je ne me suis pas blindé, je ne me protégeais
de rien.
Objectif Cinéma :
Dix ans après, quel est votre
regard sur cette expérience ?
Cédric Kahn :
Plutôt difficile.
Ce n'est pas qu'un bon souvenir. Ce n'est pas un film que
je revois. Bizarrement, en même temps, j'ai l'impression
que je ne fais que décliner ce film. Sans avoir besoin
de le revoir, j'ai l'impression qu'il y a dans ce film,
un peu de tous ceux qui sont venus après. C'est aussi
le film dont on me parle le plus.
Objectif Cinéma :
Parce que c'est le
premier.
Cédric Kahn : On
me parle des autres, mais les gens me parlent différemment
de ce film, qui n'a pas eu une audience extraordinaire.
Ceux qui l'aiment me disent : " J'ai la
cassette chez moi, je le regarde, c'est un de mes films
de référence ". Bref, ils en
parlent comme quelque chose de plus essentiel.