Objectif Cinéma :
Sur le plan de la mécanique
du récit, L'Ennui parvient à distiller
un malaise croissant et réellement prenant.
Cédric Kahn :
J'ai fait le film dans
un esprit tragi-comique. Le malaise vient du sujet, à
savoir que la rationalité échoue. C'est l'échec
de la parole qui crée une angoisse liée au
personnage principal. Une angoisse face au monde, au sens
philosophique. Et aussi l'échec de l'acte sexuel.
Objectif Cinéma :
L'échec d'un
personnage qui essaie d'expliquer, de donner des raisons
à quelque chose qui n'en n'a pas.
Cédric Kahn : C'est
aussi l'échec de la fusion. Le fait que deux personnes
restent deux personnes. Même dans le plaisir, dans
l'acte charnel, il n'y a pas de fusion. Il peut y avoir
une illusion de fusion, mais chacun est renvoyé à
sa propre solitude.
Objectif Cinéma :
On retrouve ce thème dans
Roberto Succo.
Cédric Kahn : Je
ne sais pas. C'est encore plus compliqué avec Roberto
Succo, car il y a le problème du passage à
l'acte qui n'est pas celui de L'Ennui.
Objectif Cinéma :
Mais cet échec de la parole, de la rationalité,
correspond à l'échec de l'enquête des
gendarmes.
Cédric Kahn : Oui,
mais ça ne se passe pas au même endroit que
dans L'Ennui, qui est vraiment la relation entre
un homme et une femme dans le cadre d'une relation amoureuse.
Objectif Cinéma : Pour
terminer, je voudrais reprendre des propos que vous avez
tenus au sujet de ces deux derniers films. Au sujet de Roberto
Succo, vous avez dit : " Plus j'avançais
dans la fabrication du film, plus le mystère de sa
folie s'épaississait pour moi. " Et
au sujet de L'Ennui : " J'ai voulu
faire un film sur un personnage qui a l'air banal, et plus
le film progresse, plus son mystère s'épaissit ".
N'est-ce pas cette aimantation du mystère, le mystère
d'un être, qui anime votre cinéma ?
Cédric Kahn :
La
complexité des êtres m'intéresse, non
la simplification. Je n'ai pas envie de me dire que les
gens sont appréhensibles d'une façon simple,
univoque, et les réduire à une définition
bien précise. Je préfère me dire :
plus j'en sais sur eux, plus j'ai envie d'en savoir. Comme
dans la vie. Je ne pense pas que les gens soient limités,
leur richesse est illimitée.
Objectif Cinéma : Mais
c'est le mystère chez un être qui semble vraiment
vous importer de plus en plus.
Cédric Kahn : Oui,
on revient à la question de la rationalité.
On ne peut pas rationaliser les êtres humains. Le
discours, la compréhension intelligente des humains
est insuffisante, elle est impuissante à appréhender
totalement une personne. Heureusement d'ailleurs. Quand
je faisais la promotion de L'Ennui, il y avait une
phrase que j'aimais bien, une phrase du bouquin qui est
d'ailleurs dans le film : " Je vous pose
des questions pour savoir pourquoi je vous les pose. "
Cela résume assez bien le sentiment que j'ai quand
je fais un film. Je fais un film pour savoir pourquoi je
le fais. Si je sais exactement pourquoi, ça ne m'intéresse
pas de le faire. Quel intérêt ? J'aime
bien l'idée que le film va me faire découvrir
des choses, sur le personnage mais aussi, dans un jeu de
miroir, sur moi-même.