Entretien
réalisé
Par Roland KERMAREC
Entre le 12 juillet 2000 et le 10 mars 2001
Lorsque la série Twin Peaks, conçue
par David Lynch et Mark Frost, déferla sur les écrans télévisés
français de feu La Cinq en avril 1991, il fallut peu de temps
avant qu’un engouement lynchien n’enflamme les cinéphiles
de l’Hexagone. Ce mouvement avait déjà donné naissance à un
certain nombre de fanzines à travers le monde, parmi lesquels
Cooper’s Dream, February24th et surtout
Wrapped in Plastic, le seul à avoir survécu
dix ans après l’arrêt du feuilleton, constituant désormais
le seul et unique magazine de référence en la matière. Les
cercles français à l’attention des adeptes n’atteignirent
jamais une telle ampleur, mais aboutirent toutefois à la création
d’un club pompeusement appelé Twin Peaks Club International.
Ce T.P.C.I. publia une dizaine de petits bulletins à l’attention
de ses membres, et je commençai à y écrire des articles consacrés
notamment au thème de la Rose Bleue ou du maïs dans Twin
Peaks, petites notules qui allaient me conduire progressivement
à me plonger dans une analyse plus approfondie de l’œuvre
de David Lynch à travers mes mémoires universitaires.
À la même époque, Pascal Stervinou, lui aussi membre du T.P.C.I.,
entra en contact avec moi pour que nous puissions évoquer
notre passion commune. C’est en novembre 1994 que nous nous
rencontrâmes à Brest autour de mon premier mémoire consacré
à Eraserhead. Pascal Stervinou habitait alors Quimper,
sa ville natale, et était déjà l’auteur et le réalisateur
de deux courts-métrages tournés en 35mm, Fatum, tourné
en 1991, et Strangers in the Night, réalisé en 1993.
Âgé d’une trentaine d’années, Pascal Stervinou
partage désormais sa vie entre Quimper, où il écrit, et Paris,
où il rencontre des producteurs et monte ses projets. Outre
les scénarios de ses propres films, il travaille régulièrement
dans l’écriture de scénarios de commande pour des séries de
dessins animés ou pour la télévision. Depuis 1993, il a mis
en scène trois nouveaux courts métrages de fiction en 35mm,
Mosquito, sorti en 1996, Gouzi Gouzien 2001
et enfin Reptil. Ce dernier, également tourné en 2001
et interprété par Julien Guiomar qui incarne le personnage
titre, est sélectionné en compétition officielle au Festival
de Clermont-Ferrand qui se déroulera en février 2002.
Nous reviendrons sur l’ensemble de ces courts-métrages tournés
dans des conditions professionnelles lors d’un entretien ultérieur.
L’échange qui suit porte quant à lui sur les origines premières
du désir de mise en scène de Pascal Stervinou, sur ses années
d’apprentissage autodidacte et de bricolage en Super
8, brossant au final le portrait d’un réalisateur tenace et
fidèle à ses aspirations d’enfance et à ses émotions de jeune
spectateur nourri aux films de genre, en dehors des chapelles
de la cinématographie française et des sentiers battus balisés
par les films recommandables.
Objectif Cinéma : Vous
souvenez-vous de quand remonte votre désir de devenir réalisateur
et de ce qui a pu vous inciter à suivre cette voie ?
Pascal Stervinou :Tout
vient de l'enfance, sans hésitation. J'ai plusieurs souvenirs
très précis qui m'ont marqué et fait comprendre la puissance
du cinéma.
La vision de BlancheNeige(Walt
Disney, 1936) tout d'abord, un dimanche après-midi. Je devais
avoir 6 ans. Je me souviens des arbres vivants et de la sorcière
comme une des expériences les plus fortes de ma vie. Quelques
années plus tard, j'ai vu LaFiancéedeFrankenstein(James Whale, 1935) à la télévision. J'ai
littéralement vomi en assistant aux scènes d'ouverture du
film quand la créature sort des décombres encore fumants du
moulin. Ce sont des souvenirs très forts qui sont à la base
de mon attirance pour le cinéma. Je crois que l'enfance et
des sentiments aussi ambigus que la peur ou le merveilleux
sont indissociables de l'amour que l'on porte au 7ème Art.
Vers l'âge de 10 ans, j'ai eu la chance
d'assister au tournage de Tess (Roman Polanski, 1979)
à Locronan, petit village moyenâgeux près de Quimper. J'ai
été fasciné par la petite taille, l’accent et l'exaltation
sans bornes du réalisateur, par la reconstitution historique
des décors et la beauté diaphane de Nastassja Kinski. Polanski
était survolté. Il engueulait les spectateurs qui assistaient
au tournage, tassés derrière des barrières, et vociférait
sur son équipe, emmitouflé dans une grosse doudoune, son
porte-voix à la main. À l’époque, un parfum de scandale
entourait le personnage : il vivait avec sa très jeune actrice
et venait juste de se faire expulser des Etats-Unis par
la justice américaine. Malgré tout cela, il arborait un
visage radieux et étonnamment juvénile. C'est quelqu'un
qui m'a énormément marqué et j'ai compris ce jour-là que
faire des films demandait beaucoup d'énergie et d'argent
et que c'était aussi une question de pouvoir.
À peu près à la même période, je possédais
un jouet appelé Minicinex que mes parents m'avaient offert
à Noël. Il s'agissait en fait d'un petit projecteur en plastique
vert pomme muni d'une manivelle qui me permettait de visionner
des bobines de films de quelques minutes (le plus souvent
des extraits de dessins animés de Walt Disney). J'avais
pris l'habitude de m'enfermer dans un placard et, des heures
durant, de me les repasser en boucle, en accéléré, image
par image ou en marche arrière. Le passage d'un photogramme
à l'autre, l'impression de mouvement, et les changements
de plans, m'intriguaient beaucoup.