Pour revenir au storyboard d'une des séquences
de combat de Shocker, il est vrai que je l'ai abordée,
une fois de plus, de façon naïve. En la tournant le plus
possible, ce qui est un réel luxe, dans l'ordre chronologique
tout d'abord. Ensuite, en essayant de garder intacte l'énergie
nécessaire pour tourner ce genre de séquence. Il s'agit
de Super 8, ne l'oublions pas. Avec ce format, il est aisé
d'enchaîner rapidement sur un autre plan sans perdre le
fil conducteur de la chorégraphie du combat que l'on a mise
en place. Lors d'un tournage en 35 mm, il est plus difficile
de garder cette « ligne de conduite »
quand on sait qu'il faut souvent plusieurs heures pour mettre
en place le plan suivant. Je dois dire que j'ai beaucoup
apprécié cette liberté de manœuvre et que je la regrette
presque aujourd'hui dans le tournage de mes courts-métrages
professionnels. Mais ça aussi, ça doit certainement s'apprendre.
Il faut du temps, je pense...
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Objectif Cinéma :
Shocker
est votre dernier film réalisé en Super 8. À présent que
vous comptez un certain nombre de courts-métrages tournés
dans un contexte professionnel, éprouvez-vous de la nostalgie
pour cette époque de votre vie, à cause de la sensation
absolue de liberté qui était alors la vôtre ? Regrettez-vous
souvent l'absence de pression extérieure inhérente à ce
format ainsi que l'innocence et une certaine fraîcheur de
regard, comme s'il s'agissait d'une sorte d'âge d'or ?
Pascal Stervinou : Tourner
en super 8 est un luxe que je réalise seulement aujourd'hui
grâce (à cause ?) à ma courte expérience professionnelle
cinématographique. Comme je l'ai déjà expliqué, la quasi
absence de contraintes techniques et de comptes à rendre
à un producteur ou même à un large public rend le réalisateur
libre de créer en toute quiétude. L'apparition récente du
format DV est évidemment à mettre en parallèle avec cela,
et tous les réalisateurs confirmés qui ont utilisé ce format
tiennent à peu près le même discours. Là où la technique
occupe habituellement 50% du temps d'un metteur en scène
qui tourne en pellicule, ce pourcentage peut diminuer jusqu'à
10%, ce qui lui laisse 90% de son précieux temps à consacrer
exclusivement à sa mise en scène et à sa direction d'acteur.
On voit là rapidement les avantages d'une telle nouveauté.
C'est tout simplement, à mon humble avis, ce qu'a voulu
démontrer le très critiqué Dogma de Lars Von Trier :
un retour à la mise en scène et au scénario.
D'un autre côté je ne suis pas mécontent
de tourner maintenant mes films en super16 ou en 35mm, loin
de là. La qualité de l'image, qui est primordiale pour moi,
est bien meilleure et le travail du directeur de photographie
prend toute sa valeur et sa subtilité. Quand, comme moi,
on considère le cinéma plus proche de la peinture que de
la littérature, cette notion prend alors tout son sens,
sa raison d'être. Du fait du prix élevé de la pellicule,
le réalisateur se doit également de réfléchir en amont à
ce qu'il veut faire. Chaque "Moteur" prononcé
sur le plateau rend ainsi la prise unique, précieuse et
porteuse d'espoir, chose que la DV ne propose pas... ou
à moindre échelle. Il est bien évident aussi que quelques
rares et grands réalisateurs, dont Oliver Stone par exemple,
n'hésitent pas à griller plusieurs centaines de kilomètres
de négatif par film. La quantité de pellicule qu'ils utilisent
est le cadet de leurs soucis et je pense que c'est un critère
également non négligeable dans l'élaboration d'un film.
Encore une question d'argent... Quoi qu'il en soit, tourner
en 35mm provoque un bonheur incomparable. On joue enfin
dans la cour des grands ! Il faut prendre le plus rapidement
conscience que c'est comme ça qu'on fait du cinéma et -
malheureusement - pas autrement. C'est une phase de maturation
obligée pour tous les jeunes réalisateurs qui deviennent
professionnels, même s'il ne faut pas perdre de vue, comme
on ne renie pas ses origines, que c'est finalement dans
ses premiers films que tout se met en place, que tout prend
corps. Comme dans l'enfance...
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