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Objectif Cinéma : Autant la peur et l'humour sont inséparables lorsqu'on regarde un film gore, autant on ne peut s'empêcher d'imaginer que le tournage d'un tel film ne peut forcément qu'être jouissif, comme s'il s'agissait même quasiment d'une des règles inhérentes au genre. Etait-ce le cas pour  ?

Pascal Stervinou : C'est vrai, il est évident que tourner un film gore est plus jouissif et plus fun que de tourner une énième variante rohmerienne. Ça bouge plus... Et qu'est-ce que le cinéma s'il ne s'agit pas de mouvements ? Mais tous les tournages de films sont difficiles et celui de Shocker n'a pas échappé à la règle. Le manque de moyens et d'enthousiasme de l'équipe n'a pas facilité les choses. Malgré tous ces petits inconvénients et l'utilisation du format Super 8, le tournage de Shocker reste mon meilleur souvenir de cinéma pur. Je dis pur car je crois vraiment que de tourner dans de telles conditions vous fait toucher à l'essence même du cinéma. Le manque évident de pression artistique et financière, et le côté potache de l'entreprise vous libèrent complètement l'esprit. Dès lors, on ne pense plus qu'à une seule et unique chose : le film. À mon avis, rares sont les grands cinéastes professionnels qui réussissent à tourner leurs films dans des conditions psychologiques identiques et à instaurer sur le plateau une sorte de naïveté communicative, d'enthousiasme créatif ou de débordement émotionnel. À part Spielberg sûrement...

Story Board de Shoker (c) D.R.

Sur Shocker, les décisions se prenaient en deux minutes, à l'emporte-pièce. On voulait faire quelque chose, on le faisait et on réfléchissait après. Même si le film était storyboardé du début à la fin, l'improvisation a toujours tenu une grande place sur mes tournages. Il serait absurde d'ignorer une belle lumière inattendue ou l'idée brillante d'un technicien. Il m'est arrivé, alors que je me rendais sur le lieu de tournage prévu de Shocker en voiture, de m'arrêter sur le bord de la route et de changer de décor au tout dernier moment. Je pense à une séquence en particulier : celle tournée dans le repaire de l'ogre, un lieu incroyable et symbolique qui dominait une immense forêt.


Objectif Cinéma : Combien de temps a duré le tournage ?

Pascal Stervinou : Le tournage s'est étalé sur deux ans. On tournait les week-ends et pendant les vacances scolaires. J'arrêtais une séquence de combat en plein milieu d'un mouvement et je tournais la suite un an après. Un vrai casse-tête tant au niveau des raccords dans le mouvement que des décors qui changeaient ou des costumes qui disparaissaient (un des acteurs a perdu le sien en plein milieu du tournage et il a fallu partir rapidement à la recherche d'un autre le plus ressemblant possible). Le scénario du film a été écrit en deux heures avec un des acteurs, sur la nappe en papier d'une pizzeria tandis que les effets spéciaux de maquillage se faisaient au jour le jour avec les moyens du bord. Le sang qui jaillit du bras coupé était un mélange assez collant de sirop de framboise et de colorants. Le tout était propulsé à l'aide de tuyaux de perfusions et de grosses seringues vétérinaires en verre. Quand j'y pense, ça me fait beaucoup rire, même si je suis conscient de ne plus ressentir cette sensation de nouveauté et de totale liberté...


Objectif Cinéma : Les trois planches de storyboard de Shocker que l'on peut consulter sur Objectif Cinéma détaillent par le menu une scène de combat entre l'ogre et sa victime : ces scènes de combat sont multiples dans le cinéma, mais exigent une chorégraphie rigoureuse pour demeurer crédibles, ce qui est d'autant plus délicat si les moyens dont on dispose sont modestes. À l'époque, aviez-vous une volonté de vous démarquer par une certaine originalité dans le traitement de ce genre de scènes, ou souhaitiez-vous vous confronter à ces scènes de combat avec un regard naïf, dans le sens positif du terme ?

  (c) D.R.

Pascal Stervinou : En ce qui me concerne, j'aborde toujours le tournage d'une séquence d'action ou de combat avec un peu d'appréhension. C'est souvent un « gros morceau » qu'on laisse pour la fin du tournage quand l'équipe est rodée ou que l'énergie des comédiens est à son maximum. Ce genre de scène est très ingrate à tourner parce qu'elle ne prend sa véritable dimension qu'une fois montée. C'est très long et très laborieux de tourner juste un plan, généralement complexe techniquement, qui ne prendra de la valeur que bien plus tard. C'est dur aussi pour le réalisateur qui ne doit jamais perdre le fil de sa séquence et rester concentré pour imaginer comment ces petits plans courts et apparemment anodins vont s'imbriquer les uns avec les autres. Les plans isolés d'une séquence d'action n'ont aucune valeur individuelle car ils vont s'enrichir plus tard tous ensemble dans le maelström du montage image et du montage son. C'est aussi très dur pour les techniciens et les comédiens de ne pas relâcher leur concentration car la continuité (du jeu, du mouvement, de la lumière, des maquillages, etc.) est une des conditions indispensables à la réussite de telles séquences.