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  L'Ogre (c) D.R.
Objectif Cinéma : Shocker est effectivement un hommage aux films gore que vous appréciez, notamment The Texas Chainsaw Massacre et Evil Dead, mais on peut également y voir l'influence des contes de fées, avec ce personnage de tueur sanguinaire qui évoque un Ogre.

Pascal Stervinou : C'est exact, on revient à Blanche Neige, au décor de la forêt et au mélange de merveilleux et d'épouvante. J'ai toujours pensé que les contes de fées n'étaient pas vraiment faits pour les enfants mais pour les adultes. Ce sont souvent des histoires très cruelles, où la violence des actes et des sentiments est poussée à son paroxysme. Le Petit Chaperon Rouge ou Le Petit Poucetsont presque des histoires gore quand on y regarde de plus près. On y parle beaucoup de chair fraîche... Ce n’est pas pour rien que les parents racontent des contes de fées aux enfants. C'est pour, en quelque sorte, les prévenir de la dureté de la vie qui les attend. On peut effectivement interpréter tous mes films comme des contes ou des fables, et pour en revenir plus précisément à Shocker, c'est vrai que le personnage du tueur sanguinaire évoque la figure mythique de l'Ogre comme on se l'imagine : grand, barbu, gras et très brutal. Si le scénario peut se résumer en une simple poursuite à mort dans une forêt, je crois qu'on touche quand même là à quelque chose de profondément ancré dans chacun de nous : la peur de se perdre (au sens propre comme au figuré...) et de mourir de façon violente. La quasi totalité des films réalisés sont des films de poursuite.


Story Board de Shoker (c) D.R.

Objectif Cinéma : Définiriez-vous le gore, tel qu'il apparaît dans Shocker notamment, comme une alliance d'un film d'horreur avec un film burlesque, puisque les scènes gore sont souvent de "l'horreur pour rire" ?

Pascal Stervinou : Une certaine distance se crée forcement entre le spectateur de film gore et le film gore lui-même et, effectivement, le mélange de peur et d'humour m'intéresse énormément. Ce sont deux sensations pas si éloignées que ça finalement. Beaucoup de spectateurs déchargent leur trop-plein de peur ou de tension dans une salle en riant à gorge déployée. La limite est souvent très étroite car l'humour sert souvent d'échappatoire, de refuge. Le film qui mélange le mieux ces deux sentiments est à mon avis Brain Dead(Peter Jackson, 1992), où le héros se fraie un chemin dans une foule de zombies grâce à une tondeuse à gazon. Il faut le voir pour le croire ! Je pense qu'il est impossible de prendre un film gore au sérieux parce que le gore, par définition, en fait toujours trop. C'est ce que les détracteurs de ce genre de films ne comprennent pas bien...

Le réalisateur qui réussira le premier à faire un film gore réaliste, c'est-à-dire qu'on prendra au premier degré, sera terriblement doué et aussi très sadique car son film sera proprement insupportable. Quelques-uns y sont presque arrivés : je pense bien sûr à Tobe Hooper et à son Texas Chainsaw Massacreet, dans un autre registre, à Henry, portrait of a serial killer de John Mc Naughton (1986). Ces deux films sont terribles car leur réalisme très convaincant évite - presque - toute prise de distance avec ce que les réalisateurs nous proposent. Certains réalisateurs dits gore il y a quelques années ont aujourd'hui acquis une grande notoriété et sont devenus les chouchous des critiques alors qu'ils étaient considérés comme des pestiférés auparavant. David Cronenberg et Peter Jackson en sont les meilleurs exemples. Preuve qu'il y a une vie après le gore ou que le gore n'est pas une finalité cinématographique.


  Story Board de Go Faster (c) D.R.

Objectif Cinéma : Conservez-vous toujours aujourd'hui le même regard sur le cinéma gore, le même attachement à ce genre qui n'est d'ailleurs actuellement plus très florissant ?

Pascal Stervinou : Je crois sincèrement que le cinéma gore est un cinéma propre à l'adolescence. Ce n'est pas une critique, juste une constatation. On y parle beaucoup de sexe et de mort comme si coucher avec quelqu'un (pour la première fois ?) était un danger fatal, un péché ou une punition. Je garde quand même une certaine tendresse pour ce genre de films parce qu'après tout, il est à l'origine de quelques forts souvenirs cinématographiques que je ne veux pas renier. Je ne suis jamais allé voir de films gore uniquement parce qu'ils étaient gore (je détestais la série des Vendredi 13 par exemple...) mais parce que certains d'entre eux étaient souvent de bons films. J'en ai vu de bien mauvais aussi... Il est d'ailleurs marrant de constater que le genre n'est pas tombé complètement en désuétude mais subit une sorte de renouveau grâce à des films qui flirtent avec la comédie (on y revient...) ou la parodie comme la série des Scream (Wes Craven, 1996/1997/1999) ou même Scary Movie (Keenen Ivory Wayans, 2000). Il est aussi intéressant de voir comment le gore s'immisce lentement mais sûrement dans quelques gros films américains de studio sans que le grand public s'en aperçoive forcément. Les exemples sont nombreux : les derniers films de l'impeccable Paul Verhoven (Starship Troopers, 1998, The Hollow Man, 2000) ou plus récemment The Cell (Tharsen, 2000). Ces films ne sont pas à proprement parler des films gore, mais contiennent des moments gore. Le même phénomène se produit également avec les films X. Des films comme Les Idiots (Lars Von Trier, 1999) ou Pola X (Léos Carax, 1999) proposent à leurs spectateurs de courtes mais véritables images pornographiques. Tout cela était impensable il y a encore une petite dizaine d'années.