Objectif Cinéma :Comment
as-tu découvert cet auteur ?
Jean-Paul Civeyrac : Chez
un bouquiniste. Par hasard. Vieille édition 10/18 Les
œuvres complètes de Jean de Tinan. Je l’ai lu en pensant
pouvoir en faire quelque chose, et quand il s’est agi de réécrire
le scénario du Doux amour des hommes, j’ai pensé
justement reprendre Tinan et restructurer tout ça.
Objectif Cinéma : L’attrait
de Raoul pour Jeanne s’enracine dans la mélancolie de
son premier amour, qu'il croise au début du film.
Jean-Paul Civeyrac : Oui,
il la voit passer au début du film, se demande s’il s’agit
bien d’elle, s’interroge et en la revoyant se rend compte qu’il
n’existe plus rien entre eux. Ce qui est terrible. C’est l’idée
qu’il y aurait un amour idéal, comme un paradis perdu,
presque mythifié. Cet épisode occasionne son retour
sur lui-même, son "bilan", tel qu’il l’exprime dans le
train.
Objectif Cinéma :Le
premier amour, c’est aussi le moment où l'on peut se
demander si le sentiment qu’on peut avoir pour quelqu’un est
vrai, légitime…
Jean-Paul Civeyrac :Oui,
oui, ça me paraît juste par rapport au film. Il
veut retourner la fraîcheur d’un premier amour avec l’idéal
que cela comporte. Mais il n’y parvient pas…
Objectif Cinéma :Il
y aussi dans le film une dimension très importante, celle
de la volupté, de la sensualité, de l’érotisme…
C’était ce que tu souhaitais dès le départ ?
Jean-Paul Civeyrac :J'avais
un double désir, d’une part celui d’avoir un climat,
une sensualité, les visages, le défilé
des filles autour de Raoul, etc. Cela me paraissait capital,
parce que le film traitait justement de sentiments froids. Il
le précise d’ailleurs à la fin " impuissance
sentimentale, pas sexuelle ". C’était important
de le matérialiser, que cela existe dans le film.
C’était d'autre part l’idée de faire un film de
manière légère sur la solitude des personnes,
sur l’incapacité amoureuse. Faire un film rapide et léger.
Fantômes est plus grave dans son ton, plus " synchrone "
avec l’angoisse de la mort et le fait de ne pas savoir vivre
avant la mort… Mais l’aspect fantastique le fait passer sans
trop de lourdeurs, du moins je l'espère. Je voulais que
Le doux amour des hommes soit fluide, rapide, "classique"
(au sens où l'on ne voit pas le travail). J’avais envie
de laisser porter des sentiments profonds de façon lyrique
mais sans être pathétique.
Objectif Cinéma :J’avais
le sentiment permanent d’être entre la sensualité,
la légèreté, et la gravité, la mélancolie.
Ces deux sentiments coexistaient en permanence. Et les deux
se nourrissent, ils se complètent parfaitement bien.
Dans la séquence du refuge, il y a un sentiment de plénitude
cassé par les pleurs de Jeanne…
Jean-Paul Civeyrac :C’est
une scène que j’aime parce que je la trouve très
mystérieuse, on ne sait pas pourquoi elle pleure, mais ça
m’a semblé juste. Mais ce n’était pas dans le
film.
Objectif Cinéma :Aurais-tu
filmé Ni d’Eve de la même façon aujourd’hui ?
Jean-Paul Civeyrac :
C’est difficile de répondre à une question comme
celle-ci. À l'évidence, je referai certaines choses
dans le même esprit, et d’autres non, et j’aurais envie
de refaire ce qui me paraît raté du point de vue
de la mise en scène ou du scénario. Ni d’Eve
n’a jamais été pour moi un film social. Si je
devais le refaire aujourd’hui, j'irais plus dans la direction
de La nuit du chasseur que dans celle de Ken Loach. Je
styliserais davantage.