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  Le Doux Amour des hommes (c) D.R.
Objectif Cinéma : Comment as-tu travaillé avec Renaud Bécard, le comédien qui incarne Raoul ? Dans son regard ou dans son attitude, on peut déceler malgré tout une passion amoureuse, contradictoire avec ses pensées et sa sécheresse de cœur… Cela n’a pas dû être évident pour lui de faire passer cette contradiction ?

Jean-Paul Civeyrac : Il y avait une telle connivence entre nous, que jamais, après les lectures du scénario, je ne suis entré dans des considérations psychologiques sur le personnage pendant le tournage. J’ai toujours demandé des choses excessivement simples à faire. Ensuite, cela se calait d’une manière ou d’une autre dans le montage ou dans l’histoire. Quand il y a la séquence dans la chambre avec la voix off, vers la fin du film, j’ai dirigé son regard : il était déjà dans cet état précis. J’ai du mal à expliquer ce genre de choses. Je ne lui ai pas dit " attention tu n'aimes pas cette fille, tu te racontes des histoires, car au fond tu ne l’aimes pas ", ou " tu es un type très froid ", etc. Ce n'était pas l’effet Koulechov mais quasiment. Avec le texte en off par-dessus, il ne joue pratiquement rien, il est juste triste, ému, abandonné. J’ai essayé de capter bêtement, un moment un peu émouvant dans son regard. Pour ce plan où il est assis, qu’il la regarde et qu’il pense, qu’il y a la voix off sur lui, je n’ai tourné qu’une prise de cinq minutes en le dirigeant simplement en direct " Regarde André, regarde toi, Jeanne, reviens sur toi, etc ". J'ai choisi alors des moments où il s’abandonnait complètement. Je ne suis pas d’accord avec cette phrase " il faut vivre ce que tu joues ". Quand j'ai présenté Ni d’'Eve ni d’Adam à Angers, il y a quelques années, une spectatrice avait demandé à Guillaume Verdier comment il s'était "désintoxiqué" du rôle. Âgé de 16 ans à l’époque, il lui a répondu qu'il ne l'avais jamais été. Il était le personnage le temps de la prise, puis après c’était fini. C’est un garçon très doux dans la vie, et je ne lui demandais absolument pas d’être méchant ou de faire l’expérience de la violence, contrairement à Carax demandant à Denis Lavant d’aller chez les clochards pour Les amants du pont-neuf. Ce n’est pas ma façon de faire. Je prends des acteurs dont j’ai l’impression qu’ils collent, par leur présence, au personnage que je veux mettre en scène. Ensuite c’est assez simple.


Objectif Cinéma : Tu as choisi Renaud Bécard lors d’un casting ?

Jean-Paul Civeyrac : Oui, oui. Un casting assez long. Mais il n’y avait que lui qui pouvait l’interpréter, comme Guillaume Verdier dans Ni d'Eve.... Pour Guillaume, j’en avais vu beaucoup plus. Pour Le doux amour, le casting a duré trois mois, mais il n’y avait que Renaud qui puisse avoir cette fragilité…


Ni d'Eve ni d'Adam (c) D.R.
Objectif Cinéma : Avec en même temps une épaisseur physique…

Jean-Paul Civeyrac : On devait croire qu’il puisse tomber toutes les filles, qu’il puisse écrire des poèmes, qu’on puisse l’aimer en train de ne pas aimer. J'aime le fait qu'il ne soit pas complètement antipathique, alors qu'il est assez pénible, il n’arrive pas à aimer, il est froid, il envoie balader son copain à la fin du film, etc. Il avait suffisamment de charme pour que les spectateurs ne le rejettent pas. Un personnage froid qui a des sentiments froids sera froid pour le spectateur.


Objectif Cinéma : Dès le départ, tu souhaitais que Raoul soit poète ?

Jean-Paul Civeyrac : Dans la première version du scénario, il était plongeur et faisait du jonglage. Le film est adapté de l'œuvre d'un auteur dandy de la fin du siècle dernier, mort à 24 ans, et qui écrivit les prémices de l’auto-fiction actuelle en littérature : c’est le Houellebecq, Angot ou Dustan de l’époque. Jean de Tinan, alias Raoul de Valanges, parle de sa vie dans les bars, en évoquant l’idée qu’il existe un grand amour comme de la peur de le rater en passant de fille en fille et de bar en bar. Dans le premier scénario, la rencontre de la fille avec le garçon existait. Mais pas comme ça. Et dans le livre, il y avait aussi un chapitre consacré à Jeanne, prostituée malade. A un moment donné, ils partent ensemble dans un chalet en plein hiver, puis elle s’en va et meurt. C’est le plus beau chapitre du livre qui n’est d’ailleurs pas très bon. Mais c’est un livre assez intéressant, notamment pour ses dialogues assez drôles : 30% des dialogues viennent d’ailleurs du livre et d’autres écrits de Jean de Tinan.