Ayant étudié
en Europe et débuté sa carrière cinématographique
aux Etats-Unis (où il rencontre son maître en
cinéma, Howard Hawks), Masato Harada poursuit depuis
une dizaine dannées un parcours atypique au sein
du cinéma japonais : il est parfois considéré
comme le "plus américain des cinéastes japonais contemporains".
Au-delà de la formule, Harada définit lui-même
son regard sur la société japonaise contemporaine
comme celui d’un " outsider " : apte
à en révéler les injustices et les défauts.
Ce n’est pas par hasard s’il cite Hawks, ou Fuller dans cet
entretien. Comme eux, la mythologie de " l’outsider ",
qui révèle par son regard extérieur les
problèmes d’une communauté, invisibles ou refoulées
pour ceux qui la constituent, parcourt son œuvre.
On peut parler d’une " méthode "
Harada. Ses films (Kamikaze Taxi, Bounce-Ko Gals…)
s’inscrivent de prime abord dans le " film à
thèse ", évoquant un " problème "
de la société japonaise : ainsi Kamikaze
Taxi aborde la question du racisme subit par les émigrés
sud-américains d’origine japonaise, et Bounce Ko-Gals
de l’émergence de la prostitution des lycéennes
et de la pédophilie.
De ces postulats " engagés ", auquel
on le réduit (il s’en plaint lui-même), Harada
construit des films hétérogènes, dans
la plus grande impureté des influences, mais toujours
sur le modèle de la rencontre et du voyage.
Le voyage ici n’est pas
une découverte des " réalités
de la vie ", comme dans le récit initiatique
(ses personnages sont au contraire englués, au départ,
dans le réel), mais plutôt un acte auto-reflexif,
dans lequel puiser le courage nécessaire pour agir.
(Mais) La réflexion sur soi, nous montre les films
de Harada, n’est possible que dans la rencontre avec l’Autre,
car c’est à travers l’Autre que ses personnages se
révèlent à eux-mêmes. L’Autre apporte
son aide, son amitié, son amour. Et même si au
dernier instant, le personnage est seul avec son choix et
ces conséquences, il n’agit plus seulement pour lui-même
mais aussi au nom de l’Autre.
Les films de Harada se construisent
aussi aux confluents des genres : Kamikaze Taxi,
sans doute le plus impur de tous, est à la fois un
film de yakusa, un polar, un road-movie, un film politique…
Car s’il y a une idée-maîtresse
chez Harada, c’est bien celle de la nécessité
de la plus grande impureté, de la plus grande ouverture
possible sur le monde et ses différences. Cette expression
du refus de toute forme de catégorisation, tant esthétique
que sociale, se traduit dans ses films par une attention intense
pour les personnages secondaires. Même la rencontre
la plus fugitive, ou la plus inquiétante, participe
à un enrichissement de l’appréhension du réel.
Dès lors, les ennemis
désignés par Harada sont les auto-proclamés
gardiens de la tradition et de l’autorité : chefs
yakusa, chefs de famille, politiciens ultra conservateurs.
Le risque, que Harada n’évite pas toujours, est alors
celui d’une classification schématique, de cause à
effet, (propre au " film à thèse "
et au cinéma académique).
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