Propos
recueillis le 3 mai 2002 à Gaillac
Par Alexandre TYLSKI
Merci à Sébastien Miguel,
Yves Caumon et sa famille
L'ART DE FABRIQUER UN
FILM
Yves Caumon a le vent
en poupe. Après deux moyens-métrages forts,
réussis, La beauté du monde (1998) et
Les filles de mon pays (1999), son premier long-métrage,
Amour d’enfance, se voit récompensé à
Cannes en 2001, et il prépare actuellement son deuxième
long-métrage, intitulé Tout ce qui nous sépare.
Yves Caumon n’en est pas moins un cinéaste en dehors
des modes, mais bien ancré dans le monde, non réellement
dans l’air du temps, mais plutôt, résolument,
dans ce que nous pourrions appeler : " dans
les temps de l’air ", captant autant un vent doux
qu’une parole douloureuse, loin, bien loin, d’un certain cinéma
urbain français devenu hystérique. Il ne s’agit
pourtant pas d’anachronisme, mais bien de ce qui s’apparente
à une forme de calme cruauté tour à tour
temporelle et atemporelle, et, cela, à la ferme, bien
souvent, rappelant par la même que le réel implacable
y fait aussi son nid. Un cinéma entre la chaleur du
songe et la dureté des réalités, entre
ce qui sépare le sommeil et la mort, le bonheur et
la vie.
Au-delà de voiler
et dévoiler sans cesse la rudesse et la générosité
d’une âme souvent perdue dans un paysage ou dans une
famille, ses films traquent, leurs titres en témoignent,
l’origine, le retour, au monde, à l’amour, à
l’enfance. Caumon propose un cinéma (ou)vert, replaçant
dans ses racines un art aujourd’hui trop souvent aveuglément
tourné dans les chimères de l’à venir
et de la ville, trop souvent enfermé dans des appartements
parisiens, et renfermé d’affects filmés de manière
ostentatoire. A contrario, Caumon nous soumet un cinéma
plus posé et plus discrètement attentif aux
petits riens qui fondent et (dé)font les individus.
Nous avons donc rencontré Yves Caumon à son
domicile, à Gaillac, le temps de se laisser aller avec
lui hors des contraintes thématiques d’entretiens de
promotions et de festivals. Une discussion qui tournera autour
de sa manière d’envisager la fabrication des films.
Morceaux choisis.
Objectif Cinéma :
Vous faites un découpage
avant de commencer ?
Yves Caumon :
C’est une question de méthode et de tactique. Beaucoup
de gens font confiance en leur inspiration du moment, en leur
génie personnel. Quand on en est privé, comme
c'est malheureusement mon cas, le mieux est encore de préparer.
Je rumine beaucoup avant. Je vis le film par anticipation,
je me le fais en entier. Et ça n'est pas simplement
pour le réussir. C'est pour l'habiter. Il faut que
je le rêve avant. Alors là, quand j’arrive sur
le tournage, je connais le film, je respire par le film. Il
peut y avoir un cyclone, je peux être à bout
de forces, sur une chaise roulante, je connais le film, je
peux le mettre en scène les yeux fermés, et
souvent d'ailleurs j'ai l'impression d'agir en somnambule,
le soir je ne sais plus ce que j'ai fait et encore moins pourquoi.
Le plus important dans la mise en scène, c'est la pulsation,
le rythme, et ça, ça se reconnaît les
yeux fermés. D'ailleurs ça s'entend plus que
ça ne se voit. Quand on n'est pas préparé,
quand on improvise, un des dangers courants est de se laisser
aveugler pour un rien. On débarque dans un lieu nouveau
où tout attire le regard et on va vers l'évidence.
Le jeu des acteurs vous épate et vous séduit
d'emblée, parce que de rien vous êtes arrivé
à quelque chose. Mais de ce quelque chose vous n'avez
pas fait autre chose. Que les choses arrivent sous vos yeux
"à l'improviste" les rend miraculeuses. Elles ne le
sont que sur le moment. Sur la table de montage, c'est plus
triste. Un problème courant qui se rencontre: un acteur
veut jouer le sens d'une séquence (la drôlerie,
la honte, l'entêtement…) au lieu de laisser la séquence
produire ce sens. C'est un problème quotidien. J'avoue
qu'il est difficile de ne pas se laisser éblouir par
l'expressivité émouvante du moment, surtout
quand un acteur est bon. C'est pitié que d'aller le
contredire. Avec le temps, on s'y fait.