Yves Caumon :Aujourd’hui, on est beaucoup dans le
faux documentaire, dans ce cinéma un peu myope où
on suit les personnages et tous leurs affects. Ils se mouchent,
on se mouche, ils souffrent beaucoup, alors on souffre, et
moi je souffre doublement parce qu'en plus je ne sais pas
pourquoi je souffre. On suit au plus près un personnage
dans ses mouvements, on suit ce qui bouge et ça me
lasse. C'est une sorte de non-découpage et ça
devient une manière. Et une paresse. (…) Le découpage,
c'est quelque chose qui n'intéresse pas grand monde,
on n'en parle presque jamais, et pourtant c'est la moitié
du travail de mise en scène. Les réalisateurs
eux-mêmes ne le savent pas toujours. (…) De mon côté,
j’ai un certain goût pour la beauté plastique.
Et dans beaucoup de films, surtout en France, on veut que
les choses soient les plus vraies possibles, ou plutôt
qu'elles fassent le plus vrai possible, il y a un code pour
ça. Ce rendu supposé et convenu du vrai emporte
tout sur son passage. Notamment la beauté plastique.
Parce que pour faire vrai, on cherche à enlaidir les
choses le plus possible, parce que plus elles seront laides
plus elles seront vraies, donc plus fortes et plus cruelles,
et c’est une équation que je n’arrive pas à
comprendre. Au contraire, je trouve que plus les choses sont
belles, plus elles sont douloureuses et cruelles. J’aime bien
le découpage classique. Ce désir de calculer
devant ce qui échappe. De rationaliser, d'équilibrer,
d'assumer pleinement la mise en scène. C’est devenu
presque anachronique.
Objectif Cinéma : L’amour du cinéma, un amour
d’enfance ?
Yves Caumon :
Le premier film que j’ai vu, c’était Le livre de
la jungle. J’avais six ans. Avant le film, il y avait
un documentaire sur les Indiens et entre les deux une attraction.
Ça devait être en 1969, 1970. J’ai vu très
peu de films à cette époque, j’étais
dans un contexte très rural, loin des salles de cinéma.
Mais je ne peux pas nier que j’en ai ensuite beaucoup vu à
la télévision. Le truc, c’est qu’on faisait
du cinéma amateur chez nous, mon grand-père
en faisait, mon père en faisait, mes oncles en faisaient…
Donc, les vrais premiers films que j’ai vus sont des films
familiaux. Le déclic a été quelque chose
de progressif. Je n’ai jamais voulu être réalisateur.
(…) Je ne savais même pas que ça existait, " réalisateur".
J’ai dû le savoir quand j’avais 17-18 ans. J’ai vraiment
décidé de faire des films un peu après.
Mais je n’y connaissais rien, j’étais un amoureux,
intransitif. Amoureux de rien, amoureux tout court. J’étais
un étonné, pas plus. C’est venu au fur et à
mesure.
J’étais étudiant à Bordeaux, je voulais
travailler dans le cinéma, pour voir comment ça
fonctionnait, aller derrière l'écran. Je voulais
un peu tout faire, j'aurais pu être projectionniste
ou exploitant ou critique, mais je ne savais pas par quoi
commencer. Pour voir comment se faisait un film, étant
donné qu'autour de moi personne n'en faisait, j'ai
décidé d'en réaliser un. J’ai demandé
à des amis, sensés le savoir, de faire le son,
l'image, de jouer, bref, de faire le film avec moi en me disant
: " Comme ça, je verrai comment ils
font. " Sauf que l'équipe attendait de moi
de savoir ce qu’il fallait faire ! (rires). C’est
assez captivant de réaliser un film, même quand
tu ne sais pas du tout faire. Après, le mal est fait,
et c’est très difficile de revenir en arrière.
Ça se fait vraiment au fil de l’eau, selon les accidents
du terrain. La seule ambition lointaine qui me reste en mémoire,
c'est que je voulais choisir ma vie. Mais franchement, je
ne savais pas laquelle (…)
Objectif Cinéma :
Vous avez un moment privilégié
dans la fabrication des films ?
Yves Caumon :
Je trouve toutes les étapes de fabrication assez
horribles ! (rires) Je n’aime pas le casting et je
n’aime pas le mixage. Le mixage, parce qu’il faut prendre
des décisions rapides qui vont être définitives,
impossibles à changer après, c’est trop coûteux.
On a aussi l’impression de se faire voler le film, qu’on
ne pourra plus agir dessus, qu’il faudra couper les ponts.
C’est assez douloureux je trouve. Et les mixeurs sont parfois
des techniciens assez possessifs et autoritaires, avec lesquels
il faut se battre. Mais même quand ils ne le sont
pas, pour moi c’est toujours un peu le psychodrame.