Fidèle collaborateur
de Raoul Ruiz, Bruno Beaugé est un décorateur
qui aime donner une vraie place à l'objet, transformer
le meuble et l'accessoire en "acteur". Il évoque son
parcours et sa contribution à l'univers onirique du
film Le temps retrouvé (1999).
Dans cette œuvre hantée
par le rêve et le souvenir, le décor accompagne
les allers-retours narratifs entre passé et présent,
et se laisse envahir de statues qui nous interpellent et créent
une impression proustienne, à la manière des
visages familiers d'acteurs qui traversent le film, sollicitant
notre mémoire de spectateur.
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Objectif
Cinéma : Comment êtes-vous
venu au décor de cinéma ?
Bruno Beaugé : De façon
détournée, mais après une formation classique
: l'Union Centrale des Arts Déco (l'école Camondo)
où l'on étudie l'architecture intérieure
et surtout le design, l'objet. A ma sortie en 1971, j'ai été
coopérant comme attaché culturel à l'ambassade
de France à Yaoundé et m'apprêtais à
continuer ce genre de carrière, mais le contexte de
décolonisation n'était pas alors très
favorable.
Je me suis alors présenté au service décoration
de l'ORTF, et me suis retrouvé décorateur sur
une fiction en vidéo mobile : c'est-à-dire un
car qui partait tourner en province avec 3 ou 4 caméras
vidéos.
J'ai continué sur des dramatiques à la SFP,
et surtout pour l'INA qui, sans grands moyens, produisait
des films passionnants, avec une ouverture d'esprit extraordinaire
et une volonté d'innover. Là, j'ai eu la chance
de rencontrer de gens très créatifs : Thierry
Garrel, Philippe Colin, Patrick Jeudy, Sacha Vierny, François
Ede, Sacha Vierny... et bien sûr Raoul Ruiz dont j'ai
fait un des premiers films en France : La vocation suspendue,
un film étrange, surréaliste et baroque, bien
dans le goût Ruizien.
J'étais heureux qu'il me demande pour son film suivant
: L'hypothèse du tableau volé, puis pour
Les 3 couronnes du matelot.
Après le démantèlement
de l'ORTF, les embauches se sont faites plus rares. J'ai continué
le décor de film tout en tenant un stand aux Puces
de Saint-Ouen : objets de curiosité scientifique, ou
éthnographiques, de l'art primitif, un peu de peinture...
J'ai ainsi élargi mon champ de vision, et mes connaissances
en histoire de l'art.
Objectif
Cinéma : Cette activité
a-t-elle influencé votre travail de décorateur
?
Bruno Beaugé : Oui,
car j'ai attaché à l'objet une importance que
je ne lui donnais pas initialement. J'ai inversé la
conception que j'avais du décor de cinéma :
finalement, il n'a pas une si grande importance, ce qui est
important c'est l'accessoire, l'objet immédiat. C'est
lui qui crée la relation du comédien avec l'espace,
qui matérialise le fantasme du réalisateur.
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