Cinélycée :
Jean Douchet dit que les critiques sont des cinéastes.
Un critique est-il un réalisateur potentiel ?
André S. Labarthe
: Quelque fois, mais ce n’est vrai de la majorité des
critiques. Il suffit de les lire pour s’apercevoir qu’ils
ne parlent pas beaucoup de cinéma, finalement. Ils
parlent du sens du film : la plupart des critiques sont
des spectateurs qui savent écrire et expliquer ce qu’ils
ont ressenti. Peu sont capables de trouver le cheminement
depuis l’effet ressenti jusqu’à la manière dont
cela a été fait. Ceux de la Nouvelle Vague sont
devenus cinéastes , et quand ils écrivaient,
c’était en tant que cinéastes aussi. Ils comprenaient
comment tel effet avait été obtenu.
Mais il suffit de prendre la revue concurrente des Cahiers
à cette époque, c’est à dire Positif,
pour s’apercevoir qu’ils ne parlent pas tellement de cinéma :
ce sont tout juste des cinéphiles, des cinéphages.
Le seul, purement critique, qui n’a jamais eu envie de faire
des films, était André Bazin : les cinéastes
aimaient le lire car il comprenait les raisons du cinéma.
Un critique, pour moi, sait rendre compte et analyser les
effets du film sur lui : et à partir de ces effets
il essaye de remonter aux causes. Mais il ne faut pas trop
théoriser non plus, sinon on obtient une sorte de recette
(comme dans la plupart des films américains).
|
|
|
|
Cinélycée :
Partagiez-vous la sévérité
de Truffaut à l’égard de la revue Positif
(" poujadiste ", selon lui) ?
André S. Labarthe
: Oui, parcequ’à l’époque c’était la
guerre des revues ! Mais cela a un peu changé.
Aujourd’hui, Positif dit sensiblement la même
chose que les Cahiers de l’époque, mais il
le dit avec quelques années de retard.
Cinélycée :
Vous dîtes qu’il n’y
a " plus de parti pris aux Cahiers du Cinéma ".
André S. Labarthe :
C’est ce qui leur manque aujourd’hui, c’est une revue parmi
d’autres. Alors qu’avant c’était une revue sans commune
mesure avec les autres publications : ils découvraient
des auteurs (Ford, Hitchcock). Hitchcock a presque été
" inventé " par les Cahiers :
et tous ces cinéastes américains qui sont
devenus classiques, comme Hawks, Walsh, ont vraiment été
perçus, analysés, et utilisés au sein
des Cahiers. Quand on critiquait, c’était
intéressé : on savait qu’on allait faire
des films, alors on se servait de cette matière.