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Cassavetes (c) D.R.
Cinélycée : Pourquoi la critique " officielle " récusait-elle le cinéma américain ?

André S. Labarthe : Elle regardait avec condescendance le cinéma américain, qu’elle considérait comme populaire. Mais le cinéma est un art populaire ! Car, en même temps, c’est un art qui a besoin de fonctionner, de faire des entrées. Hitchcock est populaire, mais ça ne l’empêche pas de faire un cinéma très savant, avec un sens qui dépasse le simple divertissement. C’est la même chose en littérature (cf. Molière).


Cinélycée : Quand avez-vous quitté les Cahiers du cinéma ?

André S. Labarthe : Je n’ai jamais vraiment quitté les Cahiers, simplement j’y suis moins allé, et un jour, plus du tout, mais j’y passe de temps en temps aujourd’hui. J’ai cessé d’y écrire parce que je suis passé à une autre forme d’écriture, qui parle moins de cinéma, plus de littérature ou de peinture. Les revues de cinéma sont très puristes, elles aiment que cela ne parle que de cinéma.


Cinélycée : Dans votre documentaire sur Cassavétes, on l’entend dire " Art is a very bad word in America "...

André S. Labarthe
: J’ai tourné le documentaire, en 1964 ou 1965, au début de la Nouvelle Vague. Cassavetes en disait beaucoup de bien, puis, en discutant, j’ai compris qu’il n’avait pas vu un seul de ces films ! Mais il avait un a priori favorable sur ce mouvement, ça l’intéressait beaucoup. C’est comme ça, les Américains ont du mal à voir ce qui n’est pas américain.


  Marcel Carné (c) D.R.
Cinélycée : Vos documentaires sont-ils mis en scène ? Un documentaire, est-ce du cinéma, de la fiction ?

André S. Labarthe : J’ai une théorie : le cinéma est fondamentalement documentaire, la caméra filme ce qu’on met devant. Même si c’est un document de fiction, ça sera un documentaire. Aux débuts du cinéma, on était ébahi de voir les frères Lumière mettre sur l’écran ce qu’on voyait tous les jours. Et peu à peu, on s’en est lassé. Et c’est là que la fiction intervient : pour faire exister des choses qui finissaient par ne plus exister. A force de filmer un verre on ne voyait même plus l’aspect documentaire, on en avait marre.

On a essayé tous les moyens, avec des techniques sophistiquées (l’éclairage), et peu à peu on est entré dans l’esthétique : ce qui était beau c’était l’image du verre, plus le verre. On était passé, lentement, d’un art de la réalité à un art de l’image, or, le cinéma à l’origine était un art de la réalité. Et donc, pour faire à nouveau exister ce verre en tant que verre, je peux le casser pendant que je le filme, et à la projection de cette image, on aura la sensation de l’existence du verre : il lui est arrivé quelque chose.

La fiction est ce qui consiste à faire arriver " quelque chose " aux gens, aux choses. A ce moment-là, de nouveau, la machine documentaire est en marche. Autrement dit, la fiction est un moyen comme un autre, pas un but : lorsque ça devient un but, c’est très ennuyeux ! La fiction est là pour faire exister les choses, et me faire exister moi, en tant que spectateur. D’ailleurs, lorsque le verre se brise, c’est un malheur, d’où l’importance du drame, de la tragédie, dans la fiction (à côté des guimauves, qui n’intéressent personne).


Cinélycée : Un chef d’œuvre touche donc forcément à la mort ?

André S. Labarthe : Oui, bien sûr, c’est au moment où l’on touche à la mort que les choses existent !