Cinélycée :
Alors y a t-il une " recette "
pour faire un bon documentaire ?
André S. Labarthe
: La mode, aujourd’hui, c’est de dire " document " :
il ne faut pas dire ça, on a l’impression que la caméra
fonctionne toute seule. Un bon documentaire suppose un travail
sur un document, pour que les choses qu’on filme se mettent
à exister. Au moment de la Nouvelle Vague il y avait
une querelle à propos de la manipulation : certains
disaient qu’au cinéma il fallait manipuler, et d’autres,
comme Rosellini, disaient " non, puisque les choses
existent, pourquoi les manipuler ? ". Ma théorie
c’est que justement, pour que les choses soient là,
il faut les manipuler. La manipulation permet d’atteindre
ce que le cinéma " passif " permet
d’obtenir. Il suffit de regarder les fictions américaines
des années trente, ce sont de bien meilleurs documentaires
que tout ce qui a été tourné, sur la
vie aux Etats-Unis !
Cinélycée :
Qui sont selon vous les héritiers de la Nouvelle Vague,
aujourd’hui ?
André S. Labarthe
: La Nouvelle Vague s’est opposée au cinéma
ambiant à un certain moment. Les cinéastes tournaient
dans la rue, par manque de moyens : la vision de Paris
est tout à fait neuve par rapport à celle de
Carné ou Duvivier. La postérité de la
Nouvelle Vague serait donc également de l’ordre des
moyens utilisés : avec la petite DV on peut tourner
n’importe où, cela prolonge la liberté de tourner
à peu de frais. Il y a aussi une idéologie,
revenir à un cinéma simple, qui ne s’embarrasse
pas de rhétorique, avec des comédiens " naturels ".
Des gens comme Guiraudie (Ce vieux rêve qui bouge,
nda) pourraient être les héritiers de la Nouvelle
Vague.
Cinélycée :
Quels sont les cinéastes français qui comptent,
pour vous ?
André S. Labarthe
: Il y a, par exemple Guiraudie, Jacques Rozier, Rhomer,
Rivette et Godard : la Nouvelle Vague est finie en tant
que telle, ces gens là ne se supportent plus, ne
se voient plus, mais ils font toujours des films. Il y a
aussi Mischka de Stevenin qui m’a beaucoup plu :
il y a beaucoup d’invention, c’est la porte ouverte à
ce qui peut arriver sur des tournages, l’art de capter le
hasard. C’est un cinéma que j’aime.
Cinélycée :
et à l’étranger ?
André S. Labarthe
: Les américains, Lynch et Cronenberg par exemple,
Moretti chez les italiens, les portugais sont presque tous
intéressants aussi, et, bien sur, Kiarostami, Kaurismaki,
Hou Hsiao Hsien.