Entretien réalisé à Toulouse
le 30 mai 2002
Par Yves GAILLARD
C’est à l’occasion
du festival Extrême Cinéma organisé
par la Cinémathèque de Toulouse que cette deuxième
rencontre avec Jean Rollin fut réalisée. Le
cinéaste venait présenter son premier et son
dernier film en date, Le Viol du Vampire (1968) et
la Fiancée de Dracula (2001).
Prolongeant celui réalisé précédemment
au 20e Festival du Film Fantastique de Bruxelles,
l’entretien a dérivé peu à peu vers une
conversation autour du travail de cinéaste de Rollin.
Dès lors, guidé par un souci de clarté,
l’entretien a été ré-organisé
selon trois axes : l’apprentissage intellectuel de Jean
Rollin, où se dégagent les figures-phares des
" 3 L " (Losfeld, Langlois, Lemaître) ;
ses influences cinématographiques majeures (Méliès,
Bunuel, Franju), et ses méthodes de travail, expérimentant
sur les problématiques du tournage ; et
une focalisation sur quelque uns de ses films, jugés
- en toute subjectivité par le rédacteur - comme
les plus représentatifs de sa filmographie(Le
Viol du Vampire, La Vampire Nue, Lèvres de Sang, Fantasmes,
Les Raisins de la Mort, Les Trottoirs de Bangkok, Les 2 Orphelines
Vampires, La Fiancée de Dracula).
Pour terminer cette introduction, laissons la parole au Professeur
Thibaut, organisateur de l’Extrême, tentant une
définition du cinéma de Jean Rollin : " Ses
visions surréelles, Rollin les filme d’une façon
hyperréaliste et les réarrange comme un enfant
forçant sur les pièces d’un puzzle. Etrange,
sauvage, naîf et, aussi bizarre que cela puisse paraître,
terriblement sensuel. "
On ne pouvait mieux exprimer le paradoxe que constitue le
charme rollinien.
APPRENTISSAGE, LES TROIS " L " :
Losfeld, Langlois, Lemaître
Objectif Cinéma :
Quelles ont été les circonstances de votre rencontre,
à la fin des années 50, avec l’éditeur
Eric Losfeld, et avec le cercle de la revue Midi-Minuit
Fantastique ?
Jean Rollin :
Je n’ai jamais fait vraiment fait partie du groupe Midi-Minuit
Fantastique, parce qu’à l’époque,
ils n’aimaient pas du tout mes films, comme la plupart des
gens. C’est par l’intermédiaire de Losfeld que j’ai
pu écrire des textes sur Gaston Leroux dans Midi-Minuit
Fantastique.
J'avais entendu parler Losfeld, j’avais lu beaucoup de livres
qu’il éditait (1). Un jour, je suis allé à
la librairie où il se trouvait en permanence. Les pieds
sur la table, il recevait des gens de toutes sortes. J’étais
alors un jeune étudiant, très impressionné
par les gens qu’on croisait dans sa librairie. Je faisais
semblant de fouiller dans les rayonnages, pour pouvoir rester
là, et écouter ce qui se disait.
Il avait dû remarquer mon manège, parce qu’un
de ces jours, alors qu’il parlait avec des gens comme Ado
Kyrou, Jacques Sternberg etc., il s’est tourné vers
moi et m’a dit : " Et vous, qu’en pensez-vous ?
" . Il m’a intégré à la conversation.
J’étais très impressionné, et à
partir de ce moment-là, je me suis mis à faire
" officiellement " partie de l’entourage
de Losfeld. Je venais régulièrement, toutes
les semaines, le samedi après l’école en fin
d’après-midi ; c’était un lieu de rencontre,
un peu comme un salon littéraire au XVIIIe siècle,
quelque chose comme cela.
Losfeld était un personnage formidable, il a été
très chaleureux avec moi, et m’a un peu adopté.
J’ai fait mon apprentissage intellectuel chez lui. C’était
l’époque du " Club des Bandes Dessinées ",
de Francis Lacassin. Je suivais alors un itinéraire
régulier dans Paris : chez Losfeld d’abord, puis chez
Jean Boullet (2), à sa librairie " Le Kiosque ",
où l’on retrouvait d’autres amis. La vie intellectuelle
de cet époque-là, c’était Losfeld, " Le
Kiosque " de Jean Boullet, et la Cinémathèque
de Langlois. C’étaient les trois lieux dans Paris où
l’on allait. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris là.