Objectif
Cinéma : Ces
promenades évoquent la déambulation situationniste…
Jean Rollin :
C’était aussi l’époque des Situationnistes,
bien sûr. On se déplaçait comme ça,
d’un pôle d’attraction à un autre. On ne rencontrait
pas toujours les mêmes personnes d’ailleurs; les gens
qui allaient chez Boullet n’étaient pas les mêmes
que ceux qui allaient chez Losfeld, mais tout le monde se
retrouvait à la Cinémathèque le soir,
où l’on assistait aux trois séances. Ma culture
cinématographique vient exclusivement de là.
Langlois était très fascinant, il ménageait
les surprises pour son public… Quelquefois, on ne savait même
pas le film qui allait passer, le programme n’avait pas été
édité. Il le faisait exprès, et disait : " On
doit venir à la Cinémathèque, point !
Quel que soit le programme ! " (rires).
Objectif Cinéma :
C’est à la " Société
des Amis d’Henri Langlois ", que vous avez rencontré
Maurice Lemaître ?
Jean Rollin :
Je faisais bien sûr partie de la Société
des Amis de Langlois, mais je l’ai rencontré plus tôt.
Il faisait partie des membres du jury qui sélectionnait
les films " Art et Essai ", et se réunissait
au studio des Ursulines. J’avais présenté mon
premier court-métrage (3) au jury, et j’étais
passé avec deux autres films. J'étais caché
derrière une colonne dans la salle (rires),
et personne ne m’a adressé la parole : les gens
sont partis après la projection en parlant d’autres
choses. Le seul qui soit venu vers moi et m’a dit " écoutez,
on va prendre un verre et parler de votre film ",
s’appelait Maurice Lemaître. C’est la première
personne dans le métier, en quelque sorte, qui ait
réalisé mon existence. Je lui suis toujours
très reconnaissant de cela, parce qu’évidemment,
lorsqu'on présente un film à un comité
de sélection et qu’ils s’en vont tous sans vous dire
un mot, on ne sait pas trop quoi penser…
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Objectif Cinéma :
Avoir baigné dans ce
milieu intellectuel a-t-il profondément influencé
votre cinéma ?
Jean Rollin :
Oui, autant mon travail que ma personnalité. Lemaître
avait un côté enseignant ; les Lettristes
étaient d’ailleurs un peu comme ça… Il m’a appris
beaucoup de choses : je n’étais pas toujours d’accord
avec ce qu’il disait et ce qu’il défendait, mais j’ai
appris beaucoup. J’ai lu des livres que je n’aurais pas lus
s’il n’avait pas été là pour me les conseiller,
et c’était pareil avec Losfeld. Très souvent
dans la conversation, ce dernier pouvait me demander : " Est-ce
que vous avez lu ça ? Non ? Alors tenez,
le voilà ". Et il me passait un bouquin qu’il
sortait de ses rayons. Il y avait une émulation, les
idées circulaient. Moins qu’elles n’auraient dû,
mais elles circulaient quand même, et c’était
vraiment une période passionnante.
Objectif Cinéma :
Quels étaient les rapports
entre les " chapelles " intellectuelles ?
Jean Rollin :
Positif et les Cahiers se détestaient. Losfeld
avait repris Positif, et on voyait souvent les rédacteurs
de la revue. Quand on se rencontrait entre " habitués ",
les barrières tombaient.
LE(S) FILM(S)
(Le Viol du Vampire,
La Vampire Nue, Lèvres de Sang, Fantasmes, Les Raisins
de la Mort, Les Trottoirs de Bangkok, Les 2 Orphelines Vampires,
La Fiancée de Dracula).)
Objectif Cinéma :
Il y a une grande homogénéité dans la
tétralogie vampirique, si on peut l’appeler comme ça…
Jean Rollin :
On peut, on peut, oui…(rires)
Objectif Cinéma :
Cette tétralogie se
compose du Viol Du Vampire (1968), de La Vampire
Nue (1969), du Frisson des Vampires (1970) et
de Requiem Pour un Vampire (1971), a-t-elle été
conçue comme un projet global ?
Jean Rollin :
Non, elle l’est devenu ensuite.
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