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Objectif Cinéma :
Dans le Judex, de Franju
également, la dernière image prend place sur
une plage. Avez-vous rencontré Georges Franju ?
Jean Rollin :
Oui, mais il n’y a pas que cette image. Il y a aussi, je crois,
le dernier plan, ou l’avant-dernier du Chien Andalou,
qui se passe également sur une plage presque identique
à la mienne !... (rires).
J'ai failli être l'assistant de mes deux "
gourous ", de mes dieux Franju et Bunuel. Le film
avec Franju ne s’est jamais fait, et le film avec Bunuel devait
être Thérèse Etienne, le roman
de John Knittel, qui a finalement été adapté
par je ne sais plus qui (11).
Bunuel avait quelque chose de formidable, que j’ai essayé
d’imiter avec mes petits moyens : il acceptait n’importe
quel scénario, qu'il avait la faculté de transformer
pour en faire un film à lui. On lui a donné
les scénarios les plus bêtes, et il en a fait
des films très personnels. Le scénario de Suzana
La Perverse est évidemment d’une bêtise totale,
ultra-bourgeois etc. Et il en a fait quelque chose de tout
à fait étonnant, une satire complète,
formidable. De la même façon, quelques grands
acteurs imposaient leur personnalité à leur
personnage. C'est toute la différence entre un acteur
et un comédien : si on demande à un comédien
de faire un gendarme, il fera un gendarme parfait. Si on demande
à Pierre Brasseur de jouer un gendarme, ce sera un
Pierre Brasseur déguisé en gendarme !
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Objectif Cinéma :
Les 2 Orphelines Vampires
et La Fiancée
de Dracula marquent une autre orientation dans votre travail
dans le fantastique.
Jean Rollin :Les
2 Orphelines est un cas particulier, puisqu’il s’agit
de l'adaptation d’un de mes bouquins. Il était extrêmement
facile de faire un scénario pour moi, car j’ai une
écriture assez visuelle. Je souhaitais toutefois garder
l’aspect littéraire des choses à l’intérieur
du film. Par exemple, il y a de longues tirades, sorties texto
du bouquin : ce sont des dialogues ou des textes très
littéraires, mis directement dans la bouche des comédiens.
C’était un pari : ou ça passe et ça marche,
ou les gens éclatent de rire.
Il y avait notamment une description de l’inauguration du
Temple du Soleil au Mexique, avant l’arrivée de Christophe
Colomb. C'est le plus grand génocide de toute l’Histoire :
il y a eu, je crois, au moins 50000 morts volontaires en l’espace
de trois jours ! Les gens s’offraient en holocauste au couteau
de braise, c'était une boucherie absolument inouïe.
Il existe des récits de cet épisode impossible
à montrer : il aurait fallu reconstruire une pyramide
aztèque, ce qui aurait été ridicule.
Mais je tenais pourtant à cette scène car à
ce moment du film, les deux femmes vampires s’imaginent être
des déesses aztèques. Alors, au lieu de montrer
cet épisode sanglant, j'ai préféré
leur faire dire : cela n’était possible que si j’avais
deux bonnes comédiennes, et c'était le cas.
Et la magie du cinéma a joué à ce moment-là.
Nous n’avions pas répété, parce que c’était
trop long et trop aléatoire, et que je voulais le faire
en un seul plan. Norbert (Marfaing-Sintès, le chef-opérateur.NDR),
m'a dit : " Ecoute, qu’elles fassent leur scène,
qu’elles la jouent comme elles le veulent, moi je passe de
l’une à l’autre, je me débrouille ".
On a dit alors qu'on allait faire une répétition
filmée. Tout a été fait en improvisation.
Elles ont très bien joué leur scène,
Norbert a été tres inspiré : comme s’il
devinait qui allait prendre la parole, il passait de l’une
à l’autre, dans un mouvement de plan-séquence
tout à fait étonnant. Quand on a dit " coupez ",
il y a eu un silence d’admiration sur le plateau. Un petit
miracle a fait que tout a fonctionné parfaitement.
On n'a même pas refait la prise, conscients qu'il serait
difficile de faire mieux.
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Objectif Cinéma :
Je ne vous imagine pas utiliser un jour des effets numériques
dans vos films…
Jean Rollin :
Non, je n’aime pas ça. J’aime les effets spéciaux
presque réels, réalisés au niveau du
tournage. J’ai un peu le tour de main du prestidigitateur,
je préfère filmer réellement le trucage.
Mais les effets spéciaux, les incrustations faites
en studio ou en laboratoire, ne m’intéressent pas.
Pour que cela m’intéresse, il faut que ça se
passe devant moi. Par exemple, on aurait pu utiliser des incrustations
pour la tête coupée des Raisins de la Mort,
et tout un tas d'autres choses, pour faire quelque chose de
plus réel. J'ai préféré faire
un trucage simple, où l’on coupe vraiment une tête.
La tête n'est pas vraie, mais le personnage qui décapite
à la hache le fait vraiment. Il décapite un
mannequin, cela reste quelque chose de concret. Je ne suis
pas pour les effets spéciaux de la Guerre des Etoiles,
sur lesquels je n’ai pas de contrôle. C’est un travail
de technicien, pas un travail de metteur en scène.
Pour moi, le metteur en scène travaille et intervient
pour fabriquer une tête coupée, qu'on coupera
plus tard devant la caméra. Là, on peut dire
qu'il y a un travail de mise en scène, car je peux
intervenir. Autrement, non, c’est un travail de spécialiste.
Et ce n’est pas mon idée du cinéma. (rires)
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