Objectif Cinéma :" Frôler la catastrophe " :
est-ce une définition du tournage de vos films ?
Jean Rollin :
Bien sûr, mais c’est très stimulant aussi. Je suis
un petit peu, toute proportion gardée bien sûr,
comme l’était Bunuel : lorsqu’il avait un petit
budget, cela le stimulait, et il sortait un chef-d’œuvre. Quand
il était plus confortable, avec beaucoup d’argent, il
y avait moins de choses qui passaient. Il a fait Los Olvidados
pour trois francs cinquante, et c’est un chef d’œuvre. Il a
fait La Fièvre Monte à El Pao avec beaucoup
d’argent, et c’est un petit peu moins bien (rires). Si
j’avais un gros budget, je serais peut-être englué
dans la facilité et la tranquillité, mon imagination
et mon travail seraient beaucoup moins stimulés.
Objectif Cinéma :
Quelle importance accordez-vous
aux repérages ? Vos films regorgent de lieux surprenants.
Jean Rollin :
Lorsque je pense avoir la possibilité de faire un film,
mais qu’il n’y a encore rien d'écrit, je cherche d’abord
les lieux, car ce sont eux qui me suggèrent l’histoire.
Oh, le beau lézard, joli comme tout ! (Il s’arrête
pour regarder un lézard de grande taille traverser
le mur devant nous). J’étais allé avec un
ami dans les Cévennes, avant même que le scénario
des Raisins de la mort ne soit écrit. C’est
en voyant les lieux que petit à petit, l’idée
du film s’est faite jour. Je n’avais jamais vu auparavant
de village abandonné. Et c’est dans ce lieu assez angoissant,
dans ce village où les maisons sont intactes, mais
complètement vides de tout être humain, envahies
progressivement par la végétation, que j’ai
eu l’idée d’un village où les mort-vivants massacreraient
tout le monde.
De même, j'avais repéré un escalier en
pierre qui donnait sur le vide, et cela m'a fait penser au
fameux plan de Barbara Steele, avec ses dogues, dans Le
Masque du Démon. J'ai eu alors l’idée d’employer
Brigitte Lahaie. Je me suis dit : si je la mets debout là-haut,
nue dans la pénombre, cela ferait quelque chose de
blanc sur le fond noir de la nuit et le fond gris des pierres.
Il y aurait alors une image intéressante. C’est comme
ça que l’idée de la séquence m’est venue.
Objectif Cinéma :
On vous demande souvent je
pense où se trouve cette plage, qui revient dans
quasiment tous vos films. Mais avez-vous vu Monsieur
Fantômas, d’Ernest Moerman ? (10)
Jean Rollin :
Oui, il y a quinze jours, les gens du festival de Bruxelles
me l’ont envoyé. J’avais entendu parler de ce film,
bien sûr, mais je ne l’avais jamais vu. J’ai été
étonné et surpris, il y a des images tout
à fait étonnantes. Notamment, celle - je suppose
que c’est à celle-ci que vous faites allusion - d’une
femme qui tape à la machine, alors que la mer monte.
J'aurais pu filmer ça, c’est une image très
" rollinienne " comme on dit. Et j’étais
ravi de la voir. Ce plan m’a beaucoup impressionné,
car c'est très proche de mon inspiration.