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  Le Frisson des vampires (c) D.R.

Objectif Cinéma : Précisément, hier soir, vous disiez que vous aviez fait des découpages pour La Vampire Nue, Le Frisson… J’étais assez étonné, puisque je pensais que leur mise en scène avait été improvisée.

Jean Rollin : Je faisais des découpages que je ne suivais pas. Le découpage est un carcan, un frein, quelque chose de terrible en fait. J’en faisais parce que lorsqu’on fait ses premiers films, on rêve d’être professionnel. Je me suis donc dit que puisque les gens de cinéma faisaient des découpages, je devais donc en faire aussi. Et puis très vite, je me suis aperçu que, pour moi en tout cas, c’était une grave erreur. Encore une fois, le principe du temps influence beaucoup ; et je me suis rendu compte que lorsque j’écrivais le scénario et que je faisais le découpage, quand arrivait le moment de tourner le film, plusieurs mois s’étaient écoulés, quelquefois quatre mois. Et en quatre mois, on évolue, on est plus le même. Je ne suis pas le même aujourd’hui, maintenant, qu’il y a un quart d’heure. Les différences sont généralement infimes, mais elles peuvent être grandes. Tout d’un coup, il peut se passer quelque chose dans ma tête qui fait que je suis très différent de ce que j’étais il y a dix minutes. Le découpage, c’est le passé. Et les idées que j’avais quand j’ai découpé ne sont plus les mêmes au moment où je tourne. Donc si je m’astreins à suivre le découpage, je m’astreins à revenir en arrière, et ça n’est pas bon.

Et il y a aussi le travail avec les acteurs. Je l’ai vu particulièrement sur La Morte-Vivante (réalisé en 1982, NDR) avec Françoise Blanchard ; on avait prévu une mise en scène pour une séquence très rapide, très brève, et l’on s’aperçoit tout d’un coup que l’acteur donne plus que ce que l’on attendait. Alors tout d’un coup, ce " plus " de l'acteur, il faut s’en servir ; d’un plan d’ensemble ou général, on fait un rapprochement, gros plan, sur ce que l’acteur a apporté sur une réplique, et la mise en scène change. Et la séquence de transition qui devait durer 20 secondes, devient une séquence importante, et dure deux minutes. Donc, pour garder la même longueur au film, il faut alors qu’une autre séquence devant durer 2 minutes redescende à 20 secondes. Toute une alchimie se fait, en fonction des différences qui se produisent sur l’approche du film, et qui viennent d’éléments extérieurs. On a tout d'un coup un décor beaucoup plus intéressant que ce qu’on avait prévu, ou beaucoup moins, et l’on a un travail d’acteur plus intéressant, moins intéressant…Et si l’on ne tient pas compte de ces facteurs, et qu’on se borne à suivre le découpage, on laisse passer des choses, on oublie des choses, il y a des choses qui ne marchent plus. L’inspiration de l’instant est absolument essentielle pour moi.


La Morte vivante (c) D.R.

Objectif Cinéma : Vos tournages doivent être extrêmement intenses…

Jean Rollin : Bien sûr, oui, et c’est pour cela que je tourne le moins possible à Paris ; parce qu’à Paris, on rentre chez soi le soir, et l’on décroche complètement. Tandis que lorsqu'on tourne ailleurs, on est tous ensemble le soir dans le même hôtel. J’ai fait des tournages qui ont duré trois semaines, quatre semaines en dehors de Paris, à la campagne, notamment La Morte-Vivante où l’on dormait dans le château, et où j’étais complètement coupé du monde. Je ne lisais pas un journal, je n'écoutais pas les informations à la radio, je ne savais ce qui se passait dans le monde et ça n’avait plus aucun intérêt pour moi. On s'était complètement focalisé sur ce qu’il fallait faire passer dans le film. C’est un peu ça le plaisir d’un tournage, c’est quand le reste, l’extérieur, etc, vous est indifférent, inutile, et qu’on est complètement sur le film. Toute l’équipe.

J’ai même eu des cas, notamment dans Lèvres de Sang, ou il a fallu ré-improviser en raison d'impondérables de production… C’était un film assez compliqué, et au bout de huit jours de tournage, l’un des producteurs a fait défaut. A ce moment-là, soit on arrêtait le film, soit on trouvait un moyen de baisser considérablement le budget. Et j’ai préféré évidemment cette deuxième solution plutôt que de tout arrêter. Et de cinq semaines, on est passé à trois semaines. Il a donc fallu condenser en trois semaines ce qui avait été écrit pour cinq. Des séquences entières ont alors disparu, pour êtres remplacés par un récit de quelques secondes : une voix off, à un moment donné, raconte les choses qu’on aurait dû voir.

J'avais à l’époque un premier assistant, un professionnel qui avait fait tous les grands films, et qui au bout d’une dizaine de jours, est venu me voir en me disant : " Ecoute, je ne suis d’aucune utilité pour toi, parce que je ne comprends rien à ce que tu fais. Pour moi, le film est immontable, et je ne comprends plus rien. Il n’y a que toi qui peux dire ce que tu fais. " J'étais très fier quand même, parce que pour moi le film allait se monter très simplement.

Ma " grande force " est d'avoir appris très tôt le montage. C’est ce qui me permet de travailler très vite, et de ne faire qu’une seule prise par plan. Par exemple, dans une séquence des Raisins de la Mort, la fille s’éloigne, un peu dans les vapes, et soudain elle bute contre une pierre et tombe. Le producteur me demande de refaire la prise, mais je refuse, puisque je sais qu’au montage, je couperais avant qu’elle ne tombe. Alors il me dit : " Mais, comment peux-tu savoir, il faut la refaire ! " . Cela ne servait à rien de la refaire, je savais déjà à quel endroit j'allais couper la scène. Et c’est comme ça que ça s’est passé (rires).